Bordiga a Maffi (14 août 1959)

Naples, le 14 août 1959

Très cher Bruno,

J'ai reçu ta lettre du 9 qui explique l'absence de courrier du fait de ton voyage à l'Île d'Elbe à ... (où je vois que les joueurs de l'Inter sont en rodage; y es-tu en qualité de supporter d'Ambrosio?).

Le journal est bien réussi et bien rempli, grâce aux réjouissances du mois et août qui t'ont servi in extremis; j'en suis assez satisfait.

Je confirme encore que je recommence à envoyer le Filo (ou au moins à l'écrire à partir du 23 pour une sortie aux premiers jours de septembre).

Je confirme pour ceux qui ne le savent pas (copie à Bruno, Suzanne et Faber) que la rèunion aura lieu à Milan les 17 e 18 octobre (nègres le 16).

Le travail de préparation est torpillé par une des classiques défections de Livio. Dans tout le compte rendu de La Spezia il n'a pratiquement pas travaillé, mais saboté et augmenté mon travail. Il y a quinze jours j'avais établi un plan de travail, mais Livio, après avoir manqué aux rendez-vous est venu un jour et à une heure à laquelle on ne l'attendait pas, pour raconter une de ses histoires: un de ses amis part en voiture en Nigéria (?) et il l'accompagne à travers la France, voilà pourquoi il nous laisse tomber. Je ne lui ai fait aucune reproche et j'ai lui ai souhaité de bien s'amuser. Mais à toi je l'écris que je mets fin à son travail pour moi et chez moi. Quand son caprice sera fini, il se peut que je le mette alors en correspondance avec toi et les lettres s'échangeront entre lui et Milan.

Je ne peux absolument pas compter sur les camarades de Naples. Je les abandonne à ton commandement: tu n'auras d'autre Dieu que les c...

On ne voit plus Faber. Tu me dis lui avoir envoyé de l'argent et je gardais ici pour lui 2.000 lires, reste de la collecte pour ce soi-disant exilé (venait-il vraiment de Suzanne?) auquel les Vallillo n'ont pas donné un sou.

J'écrirai aussi à Ferradini auquel vous en voulez. Faber laisse aussi tomber ma proposition de sacrifier quelques heures pour lui faire un peu de chimie et de maths, et seule la misère l'exuse. Mais ne serait-il pas aussi paresseux?

Je reçois aujourd'hui de Roger une lettre contenant une proposition que j'accepte: une séance à Milan sera consacrée à l'Algérie. De Paris sera envoyé le texte en français afin d'être traduit et lu en italien. Choisissons Faber comme traducteur, mais non comme lecteur. Il finira par devenir orateur, mais il ne saura jamais lire (j'entends à haute voix). Dès que j'aurai une copie du texte, je ferai quelques additions sur les questions de principe. Le résumé que Roger m'envoie est correct, et le matériel disponible est considerable. Les indications données à Livio sur la circulaire nègres qu'il a sabotées pour plus de deux mois ont donné lieu à des feuillets que je réunis pour toi et qu'on peut transmettre par Alberto (je les réunis pour t'édifier). Je commence à mettre de l'ordre dans le matériel. Avant tout par une lecture attentive des six points de La Spezia qui peuvent être développés directement par les nègres. Ce travail que Livio devait faire à la machine, c'est Alberto qui l'a fait et je surveille son travail.

I. N. 9. Abaco de l'économie marxiste, du II e III Livre: je le ferai. Comme tu vois, Livio devait, comme convenu avant La Spezia, me préparer des copies de toutes les formules du texte de Marx. Je le ferai.

II. N. 9. Polémique sur la théorie de l'accumulation (Luxemburg, Boukharine, Lénine). Bruno, Suzanne, Roger veulent-ils s'en occuper.

III. N. 10. Graphique industrie russe. Déjà envoyé à Giovanni qui doit être en train de le faire et pourrait faire les héliographies demandées par Livio avec un espace en blanc à droite pour les données annuelles et mensuelles des USA. Mais il fait que les statistiques recommencent à couler maintenant que tu n'as expliqué le mystère de la paralysie de l'Economist.

IV. N. 12. Lois de la proportionalité inverse entre rythme d'accroissement et de production par tête. Y travaille Elio qui m'a écrit à ce sujet et à qui je repondrai, étant donné qu'il n'a pas copie de cette lettre-ci - qui d'autre veut y travailler? Remarque sur tous les points: enscription préalable de ceux qui acceptent. Occupe-t-en toi aussi.

V. N. 13. Chiffres agraires russes 1913. Fait (par Livio!).

VI. N. 14. Lois de recul de la production agraire pour les pays capitalistes autres que USA et URSS déjà traités. Il nous faudrait des statistiques du XIX siècle, en ce sens que ceux cités dans les tableaux parus dans le n. 14 ne remontent pas très en arrière. Peut-être que Roger peut y travailler d'après le de Ritter, volume statistique, puisque je n'ai que le volume historique et critique.

Il faut bien suivre mes allusions aux nègres entre les lignes, car il y en a peut-être d'autres.

En dehors de tout cela, je te signale d'autres secteurs de travail.

Je prépare naturellement la séance finale de La Spezia et j'extrais des textes marxistes de Roger avec le choix fait par Giuliano e Bruno des passages philosophiques. Ces textes sont une belle masse de travail et je les classerai ainsi: philosophie - économie - description de la societé communiste - nécessité et fonction du parti politique de classe.

Il reste un autre point scabreux qui est celui de l'histoire de la Gauche. La même publication de Rinascita (revue stalinienne) nous invite à mettre les choses au point et tu as bien fait d'écrire en termes généraux. Entre autres, un nouvel historicien m'écrit pour avoir des informations sur Florence novembre 1917, tel Spriano. Je lui réponds en termes généraux; ses idées sont assez confuses, et il emprunte à Germanetto, qui je pense n'y était pas la bourde selon laquelle Gramsci et Bordiga soutiennent l'insurrection.

Gramsci ne soutenait rien, mais buvait les paroles des autres, les yeux enfièvrés. En somme, nous devrons reconstruire toute cette série d'événements: les documents manquent et j'utiliserai en désespoir de cause la mémoire subjective.

Enfin, à toi la demande d'ordre pratique, selon le activités économiques, pouvons nous seulement ronéoter ou faire imprimer? Par exemple, un recueil de l'histoire de la Gauche, ou un extrait de Parme et La Spezia, lié aux deux Dialogues? De Livio, j'aurai voulu avoir une copie des deux comptes rendus avec marge blanche pour additions et connections, mais à quoi bon le nommer? Maniaque du tourisme!

Une dernière observation sur les critiques de Suzanne sur l'édition française du Dialogue avec Staline. Outre les erreurs qu'elle déplore, je dois en signaler deux autres graves.

- Page 34. C'est le même passage qui fut massacré dans l'édition italienne, en ce qui concerne les chiffres; il y eut un erratum: "En 1929... les ouvriers ne reçoivent plus que 35 sur une valeur de 1.000, tandis que les capitalistes reçoivent 648"! Morbleu!

Ce malencontreux 35 est en réalité 352, qui + 648 fait 1.000, et toute la démonstration s'en va "cul par dessus tête" [en français dans le texte].

- P. 18. Le dernier stade de la fusée atomique est dépassé: "dans le monde de la civilisation parlementaire et mercantile". Un adjectif a été sauté (par quelques linotypistes marxistes catholiques?!). En Italien c'était "cristiana parlamentare e mercantile".

Un nombre ici, un qualificatif là, qu'en pense notre professoresse? Je lui fais confiance pour réagir violemment, dans la défense des adjectifs.

Et maintenant, à qui est promis pour le prochain numéro: la troisième séance se comprend, l'article politique sur le fascisme dans le colloque de deux etc. et une note sur les derniers satellites USA. Ils font des petits.

D'où vient ton perpetuel doute sur ma santé? As-tu reçu des fainéants envoyés pour espionner et trouver que mon caractère était celui d'un vieil atrabilaire?

Mon foie est intact comme celui d'un nouveau-né et toute la maladie est dans les dignes fils de cette sale époque moitié bourgeoise et prétendue marxiste.

A toi maintenant.

Je salue tous sans considérations de nationalité ni de sexe.

A.

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