Militants des révolutions (3)

III. FIL ROUGE, BOUSSOLE SANS TEMPS

OÙ NOUS PÉNÉTRONS UN PEU DANS L'HISTOIRE POUR DIRE QU'IL FAUT AVOIR LE SENS DE LA MESURE QUAND ON PARLE DU PARTI ET QU'IL FAUT RESTER FIDÈLES À UN PROGRAMME INOXYDABLE DEVANT LES HAUTS ET LES BAS DE LA MISÉRABLE CONTINGENCE

Écrire sur les militants de la révolution, cela a plus de sens dans les moments difficiles comme aujourd’hui que lorsque la révolution pousse des masses entières vers ses objectifs. Dans Leçons des contre-révolutions nous lisons en effet :

« Le marxisme n'est pas la doctrine des révolutions mais celle des contre-révolutions : tous savent se diriger quand s'impose la victoire, mais peu savent le faire quand arrive, se complique et persiste la défaite. »

Il n'est pas simple de réussir à définir ce qu'est le militant de la révolution communiste, comment il peut adhérer au programme historique de la révolution et comment il peut adhérer à l'organisme politique que ce programme réalise à travers la direction de la lutte prolétarienne jusqu'à l'objectif final. Comme il n'est pas simple de clarifier la dynamique qui porte à la formation et au développement de cet organisme politique, qui porte donc aussi aux formes qu’il peut assumer à travers les déterminations qui en font un produit avant d’être un facteur de l’histoire.

Il est indubitable que la contre-révolution, datable au moins à partir du début des années 1920, persiste toujours, en se confondant dans la normalité d’une situation sociale apparemment stable. L'absence d’une quelconque pratique révolutionnaire rend difficile de donner un sens à l'existence même des militants communistes.

Dans l'Europe d’aujourd’hui, en dehors de la politique ordinaire des structures bourgeoises, y compris celles que Lénine appelait un temps opportunistes mais qui maintenant ne se distinguent plus en rien du reste, nous trouvons des positions différentes, parfois opposées, presque toujours dangereuses. Pour simplifier, il y en a quelques-uns qui, au nom d’une orthodoxie présumée, luttent contre les risques de contamination en s’enfermant dans des organismes formels (partis) et sortant d’eux comme on sortirait d’un fortin isolé ou, comme dirait la Gauche bibliquement, d’une Tour d’ivoire, pour "mener une activité syndicale" ou quelque chose d’autre. La pureté et la sensibilité qui les a menés à "créer" des partis formels sans détermination historique quelconque ne sont pas suffisantes cependant à faire que ces partis soient aussi des instruments utiles dans le binôme théorie/praxis et l'activité vers "les masses" reste un appendice qui sert plus ou moins à se donner du lustre en sens activiste.

Il y en a d’autres qui croient, par contre, que le marxisme est un idéal auquel se référer, plutôt qu'un patrimoine théorique jailli de luttes réelles, plutôt ensuite qu'une expérience historique à utiliser.

En effet, l'expérience historique est un élément positif de la maturité du mouvement ouvrier et elle est constituée par les défaites, aussi les plus désastreuses, pas moins que des victoires. Dans les périodes défavorables le mouvement en général ne rompt pas le fil de la continuité, mais c’est moins évident entre les événements politiques qui représentent la surface du processus historique. La longueur de telles périodes est en relation avec la gravité de la contre-révolution et de la dégénérescence de la doctrine de la part de l'opportunisme. Il ne s’agit donc pas de se confier à un simple idéal mais de se sentir partie du courant qui a représenté l'expérience historique cohérente.

La révolution ne jugera pas les groupes ou les partis pour ce qu’ils disent ou pensent être, mais pour leur histoire, pour leurs actions et pour la manière avec laquelle ils posent les problèmes fondamentaux y compris vis-à-vis de tout ce qu'il les entoure. Quand la révolution commencera à utiliser les instruments qui lui servent, elle rendra évident le fil rouge qu’il est, aujourd’hui, si difficile d’apercevoir et les faits réels auront l'avantage sur les étiquettes.

Il faut souligner avec force cette perspective pour dégager le terrain des velléités des faiseurs de révolutions et de partis. Nous avons appris du marxisme et de l'histoire de la Gauche que les révolutions et les partis ne se font pas mais que révolutions et partis se dirigent. Ceci est une réalité qu'il fallut confirmer depuis 1921 contre une Internationale qui commençait à osciller sur les problèmes tactiques en tâchant de forcer l'histoire sur des voies impraticables. Ce n'est pas le bon parti qui fait la bonne tactique, mais vice versa c'est la bonne tactique qui forme le bon parti. De même que l'organisme biologique se forme à travers ce qu'il mange et ce qu’il fait, l'organisme révolutionnaire se forme ainsi à travers ce qu’il assimile de théorique et ce qu’il développe dans la pratique, en améliorant son système organique de muscles, d’os, de nerfs et de matière grise, jusqu'à impliquer d’autres organismes en un organisme plus vaste, celui social.

Le résultat qui nous intéresse dans le cadre du discours que nous sommes en train de faire est le passage qualitatif qui arrive quand le métabolisme social décrit se dirige vers un objectif. C’est alors que l’on voit quels sont les instrument réels de la révolution, ceux qui ont été les précédents et ceux qui seront les développements futurs. Ce que nous appelons continuité n'est certainement pas une affirmation abstraite mais un parcours tangible, une cohérence qui se montre tous les jours, même si sera seulement et totalement évident quand on écrira l'histoire en regardant en arrière. Lénine, à Zurich, se damnait parce que la Révolution semblait inatteignable. Ce n'était pas seulement un problème de train, gentiment résolu par le ministre de la guerre allemand, le fait est que l’omnipotent parti bolchevik, noyau d’acier et cetera, et cetera, a été décrit après comme entité qui a fait la révolution, spécialement par Staline et compagnie. Le parti bolchevik eut la possibilité de diriger la révolution parce que, dans son ensemble, il fut cohérent dans son action avec le patrimoine qu’il avait accepté comme base pour son existence. Trotsky montre dans son 1917 que la révolution en cours aurait très bien pu ne pas être dirigée si on avait écouté à ce moment-là la majorité du Comité Central.

C’est donc d’un entrelacement cohérent entre patrimoine accepté et pratique quotidienne que jaillit la potentialité de l'organisme susceptible, donc, d’atteindre des résultats plus hauts et de les transmettre. Le niveau d’élaboration théorique dépend de l'attitude pratique correcte, comme celle-ci est influencée à son tour par l'adhésion au programme. Le franchissement positif du marécage politique que le peu de militants révolutionnaires sont contraints à franchir arrivera quand l'entrelacement décrit, qui forme le programme génétique de chaque mouvement plus grand, s'entrelacera à son tour avec un changement matériel dans le milieu, c'est-à-dire dans la société qui produit et se reproduit.

Chaque militant révolutionnaire ne peut qu'adhérer à une école de pensée et d’action venue avant lui, qui a ses racines dans les révolutions passées et se projette dans les révolutions futures. Nous tâchons de militer en continuité avec l'école de pensée et d’action marxiste. Mais cela ne nous suffit pas. Le marxisme n'est pas mort avec Lénine. La bataille qui se déchaîna avec le recul de la révolution mondiale a produit des fruits que nous pouvons cueillir parce que, avant ce moment, s'était créé un courant qui fut le seul à être en syntonie totale avec la révolution bolchevique. Pour décrire la continuité, on utilise parfois l'image du relais où se transmet le témoin. C’est une bonne image, parce qu'elle souligne de manière immédiate un fait établi : pour pouvoir passer le témoin, il faut qu'il y ait un morceau de parcours commun. Cette image est utilisée aussi pour illustrer le transfert entre générations et elle est encore plus efficace. Nous nous sommes promis de recueillir la tradition de la Gauche tant parce que nous avons eu un parcours commun avec elle que parce que nous avons vécu un échange de témoins entre générations en tâchant d’apprendre des leçons du passé. Mais ceci ne suffit pas, parce que même un Trotsky, bien plus grand que tout ce que nous pouvons être nous, a passé le témoin à des groupes qui peuvent en revendiquer la continuité à travers son expérience, ses écrits et ses élèves, et ceci n'a pas empêché le trotskisme de retomber dans les catégories de la société bourgeoise.

Une tradition très ancienne est celle de faire le pain sans levain, en enlevant un bout de pâte déjà levée naturellement du premier et en l'ajoutant au suivant. On la retrouve dans le monde entier, au moins celui qui consomme du pain. L'acte symbolise la continuité d’un aliment de base, un peu comme si on mangeait toujours le même pain dans le temps pour être toujours les mêmes. C’est une magie de continuité, fréquente dans le symbolisme de la science primordiale, peut-être rappelée par la communion des premiers chrétiens. Nous brûlons le carburant révolutionnaire et nous devons en produire un autre, différent et pourtant toujours le même, si nous voulons que la continuité existe. Les prêtres étaient exemptés de la continuité du pain, peut-être parce qu'ils étaient déjà en prise directe avec celle du ciel : pour eux le pain levé était tabou. Mais c'est encore un exemple limité.

Nous voulons quelque chose de plus, un exemple qui donne une idée plus claire comme celle du Fil Rouge, juste pour arriver où on voulait. Le haubanage des navires de Sa Majesté britannique, depuis l’époque d’Elisabeth Première semble-t-il, était tressé avec du chanvre provenant du monde entier et d’usines déplacées partout. Le mercantilisme n'était pas une plaisanterie pour l'Angleterre, prototype de tous les impérialismes modernes. Si le chanvre et les usines étaient dispersées de par le monde, sur toutes les coutures, sur toute la longueur courait par contre un fil rouge qui était produit dans une seule manufacture royale à Londres. La production de ce fil ne s'interrompait jamais.

On sait que la marine anglaise est folle des symboles, y compris les plus stupides, mais celui-ci a dû plaire à quelque militant resté inconnu et nous nous y tenons. Le fil rouge est unique, toujours le même pour toutes les coutures, pendant que les relais et les miches de pain peuvent être nombreux et différents.

Qu'est-ce qui a permis à la Gauche, comme à Lénine, de répondre correctement aux importantes situations historiques spécifiques dans lesquelles ils se trouvèrent à lutter ? Rien d’autre que l'assimilation du patrimoine précédent, un travail cohérent sur celui-ci et l'élaboration sur les invariants et les transformations qui ne sont pas du tout en opposition mais unis.

Voilà expliqué le motif pour lequel la Gauche "italienne" a pu, au moment juste, fournir concrètement l'explication et en même temps la perspective de développement de phénomènes que d'autres ne comprenaient pas ou, pire, ne voyaient même pas venir. Il en fut ainsi quand elle combattit contre la dégénérescence de la politique du PSI en 1912, quand elle s'organisa en fraction à l'intérieur du vieux parti en adhérant totalement aux thèses bolcheviques, quand elle constitua le Parti Communiste en 1921 d’une manière cohérente, quand elle critiqua les oscillations tactiques de la IIIe Internationale et donna une explication historique du fascisme, quand elle fit un bilan marxiste de la structure économique et sociale de l'URSS. Ce fut aussi le cas quand, finalement, elle établit, en pleine contre-révolution stalinienne, que la conservation du patrimoine marxiste et le sien propre pour le remettre indemne aux nouvelles générations était un travail pratique, pas différent de celui qui pouvait être fait dans les usines et dans les sections locales.

Aujourd’hui, nous pouvons nous faire forts de cette histoire au travers de laquelle même le très dur Trotsky, l’unique véritable allié qu’aurait pu avoir la Gauche, n’a pas réussi à passer indemne. La sauvegarde du patrimoine théorique immense de la dévastation qui accompagna la contre-révolution stalinienne ainsi que sa "restauration" n'est pas finie et ne finira jamais, parce que le marxisme est une science, et procédera ensuite avec l'humanité vers la connaissance du monde au travers de continuelles élaborations et additions dans un processus qui n'aura pas de fin. Les militants révolutionnaires doivent savoir que le devoir que la Gauche a rempli n'est pas un devoir transitoire. Lénine l'avait accompli et on devra encore l’accomplir. Les militants communistes auront encore beaucoup de travail pour combattre les effets de la contre-révolution stalinienne pour deux motifs. Premièrement, celle-ci a été si virulente parce que, comme tous les opportunismes, elle s'est développée à l'intérieur du mouvement ouvrier, elle a impliqué sa presque totalité y compris ses organes dirigeants – ou plutôt, ceux-ci en premier – dans le monde entier et elle n'a pas pu trouver d’antidotes dans le développement matériel des faits, c'est-à-dire de la révolution à l’Ouest. Deuxièmement, le stalinisme est fils, comme tous les immédiatismes et les utopies (construire le communisme, construire le socialisme dans un seul pays), de l’archétype Proudhon qui, comme le fit remarquer Marx, était le chantre et le représentant des semi classes moyennes et de tous ceux qui rêvent d’un capitalisme sans les ennuis et les contradictions qu’il comporte. Donc, jusqu'à la fin du capitalisme, nous nous trouverons chaque fois à faire les comptes avec quelque forme de proudhonisme, "résurgent et tenace", comme le dit la Gauche, phénomène inséparable du fait que, quand le prolétariat n'est pas une classe pour soi, c’est une classe pour la bourgeoisie. En ne pouvant pas cependant se conduire dans les faits comme la bourgeoisie, il assume dans ce cas la manière de penser de cette strate sociale intermédiaire et amorphe dont le militant communiste, car il l'aura toujours entre les pieds, doit en connaître toutes les manifestations, spécialement celles qui influent sur l'organisation dans laquelle il milite.

Donc, en revenant aux observations d'où nous étions partis, c'est-à-dire au processus de formation et de développement du parti, forme organisée et organique de l'action révolutionnaire, le militant combattra toutes les tendances qui voient la révolution et le parcours pour l’atteindre comme un produit de la volonté. Ni la révolution, ni les conditions économiques et sociales qui la préparent, ni le parti qui la dirigera ne peuvent être le fruit du désir d’hommes qui, de bonne foi, voudraient voir se réaliser un modèle qu'ils ont en tête. La Gauche a insisté sur ce point en toute son histoire et nous avons la vérification expérimentale que la recherche du succès à tout prix, par des expédients dirigés à transformer la réalité selon ce que veulent les chefs et les comités directeurs, a porté à la faillite et au reniement des fondements marxistes :

« Nous avons tant de fois crié à ces affamés de succès politiques palpables mais contingents, que nous sommes révolutionnaires non parce que nous avons besoin de vivre et de voir la révolution en contemporains, mais parce que nous la vivons et la voyons aujourd’hui, pour les divers pays, pour les "champs" et les "aires" d’évolution sociale dans lesquels le marxisme classe la terre habitée, comme un événement déjà susceptible de vérification scientifique. Les coordonnées sûres de la révolution communiste sont écrites, en tant que solutions valables des lois démontrées, dans l'espace-temps de l'histoire. » (46)

IV. ACTIVISME, FAUSSE RESSOURCE DU "PRINCIPISME"

OÙ ON MONTRE QUE LA GÉNUFLEXION DEVANT LES ÉCRITURES SACRÉES ET DEVANT LES IMAGES PIEUSES COMMUNISTES EST L'AUTRE FIGURE DU PÉCHÉ ORIGINEL ACTIVISTE ET NE SAUVE PAS L'ÂME DU PÉCHEUR MAIS L'ENVOIE EN ENFER AVEC PROUDHON !

La doctrine marxiste est un tout organique, "un cadre original, déjà parfait, comme cent fois nous le répétâmes, pendant plus d’un siècle jusqu’à aujourd’hui". Malgré cela

«  nous travaillons à fragments et nous ne sommes pas en train de construire une encyclopédie communiste ; il ne peut en être autrement, si la condition de notre œuvre est la dispersion de la société ennemie et la défection décennale des forces de notre camp (…). Si on ne put pas stéréotyper l'encyclopédie quand on était trop fort, on ne peut pas prétendre le faire quand on est trop faible ; les Tables dans lesquelles les textes sont fondus dans le métal se réduisent à des morceaux et à des passages, dont la substance est rigide et puissante, mais parfois les contours sont incomplets et discontinus. La révolution des générations à venir soudera les bouts que nos efforts limités, mais non craintifs, relient entre eux. » (47)

Nous avons, dans ces deux fragments de texte, la définition du militantisme révolutionnaire. D’une part, nous avons le corps doctrinaire qui naît du processus matériel comme un tout unique valable pour le parcours révolutionnaire entier ; de l'autre, nous avons l'effort non craintif de réunir les parties différentes dans un grand semi élaboré qu'un jour l'humanité portera à l'accomplissement, c'est-à-dire soudera dans une structure puissante les fragments que pour l’instant nous ne pouvons mettre qu’en relation entre eux, en en élaguant la matière des ordures bourgeoises et opportunistes. Comme cela est affirmé dans Propriété et Capital, le militantisme révolutionnaire consiste alors à réussir à conserver dans le présent la ligne du futur de classe ; l'activité fondamentale, qui se condense dans le terme "travail de parti", c'est donc la transmission des leçons fécondes qui émergent du passé aux générations présentes et futures.

Ce n’est pas par hasard que nos thèses insistent beaucoup sur le concept de transmission. Le programme, pour nous, n'a jamais été synonyme de plateforme politique, de revendicationnisme révolutionnaire banal, de résultat final étranger au nécessaire parcours politique pour sa réalisation. Dialectiquement, le programme est la projection politique et sociale de l'avenir dans le présent. Le concept de transmission nous sert à comprendre qu’il n'existe pas de séparation entre "préparation révolutionnaire" et "révolution", entre tactique et programme.

En s'opposant aux oscillations de l'Internationale, la Gauche défendit la relation "circulaire" qui part du programme et, à travers la tactique, revient au programme. La révolution peut et doit être prévue non seulement dans son résultat final mais aussi dans son parcours. Alors, conservation du passé et préfiguration de l'avenir ne sont pas des éléments antithétiques mais se complètent l'un l'autre dans l'action présente du parti révolutionnaire. Ce dernier, ne peut donc pas être seulement un vecteur de propagande des principes immuables mais aussi un instrument adéquat dans la lutte pratique pour atteindre un but. Etant donnée la persistance de la formation sociale dans laquelle les principes se sont formés et ont trouvé leur vérification, ceux-ci ne peuvent pas être mis en discussion, mais ils ne peuvent pas être traités non plus comme des lois immanentes qui procèdent de la tête des hommes ou de quelque succédané doctrinal de la divinité et ne peuvent donc pas être traités comme des choses à part, détachées de la vie matérielle des hommes. L'élément superstructurel, qu’il soit l’appareil politique et idéologique de la classe dominante ou qu’il soit l’organe de la classe dominée – dans notre cas, le prolétariat – assume un poids matériel décisif dans l'influence des événements, en ce qu’il peut donner une solution ou une continuation à l'antithèse entre la force productive sociale et les rapports de production ; antithèse qui, dans la phase la plus aiguë, se fait lutte pour le pouvoir. Le parti communiste, produit de l'histoire du conflit entre bourgeoisie et prolétariat, se transforme en facteur d’histoire et dirige ce même prolétariat en lui permettant d’être la classe protagoniste de la transformation sociale ; il représente ses intérêts en les fixant dans un programme ; il synthétise et unifie les poussées physiologiques et d’organisation immédiates qui viennent de cette classe.

Le parti n'est pas une "partie du prolétariat", comme le prétendaient les thèses de Troisième Internationale, mais c’est l’organe de la révolution prolétarienne ; il n'est pas dit qu’il doit être constitué des seuls prolétaires, mais il ne peut pas exister sans le prolétariat, surtout sans sa détermination matérielle à lutter contre la bourgeoisie. C’est dans cette relation que le parti peut impliquer les individus, peu importe s’ils sont prolétaires ou non, et les élever à la fonction de militants opérationnels de la révolution, chose qui, sans la relation historique de chaque partie – force productive sociale, classe bourgeoise, prolétariat, individus, superstructures, etc. – avec le tout, serait inconcevable.

L'organe du prolétariat ne s'impose pas par un effort de volonté, il ne surgit pas d’un coup d’une révélation fulgurante ou d’une interprétation clarifiante des textes sacrés. Il se forme, il se développe et il acquitte sa fonction à travers une sélection dure et matérielle, catastrophique et brutale, dans la mesure où il existe une maturité sociale qui permette une conscience et une action collective unitaire aux dites masses. Au prolétariat, au premier rang, mais aussi aux transfuges d’autres classes qui comprennent le besoin de lutter dans le sens de l'intérêt général et final du prolétariat et ensuite de l'humanité entière. Sous-estimer ce processus grandiose, puissamment esquissé par exemple dans les Thèses de Rome, et en singer les mots sans s'adapter au contenu est aussi lointain que cela puisse être du militantisme révolutionnaire.

Le processus révolutionnaire procède par sauts : une série de passages qui représentent chacun un élément décisif qui doit être maintenu et dépassé ; il n'y a pas et il ne pourra pas y avoir une seule transformation soudaine qui modifie les scénarios précédents. La compréhension de ces passages c’est l'art de l'insurrection auquel fait référence Lénine ; à ne pas confondre, comme c'est souvent le cas, avec l'art du coup d’État, blanquiste ou non ; Rosa Luxembourg s'était aussi méprise en se rebellant face aux argumentations cristallines de Lénine du point de vue d’une "démocratie prolétarienne". C’est vraiment cette démarche par sauts qui donne à la révolution la possibilité de laisser tour à tour en arrière les oripeaux du passé pour atteindre de nouveaux résultats, de se critiquer soi même, de se dépasser dialectiquement pendant le déroulement même des faits, comme Marx l’observa déjà tant en 1848 que lors de la Commune de Paris.

Est militant de la révolution celui qui contribue à la destruction de l'état de choses présent, quelle que soit la classe à laquelle il appartient, mais la révolution a besoin de militants organisés, centralisés, disciplinés. Le parti ne naît pas sans militants et d’autre part ceux-ci ne sont pas des militants véritables s’il n’y a pas une activité de parti. Notre courant a précisé le problème en sortant de l'apparent cercle vicieux en notant la relation entre parti historique et parti formel. Le programme de la classe prolétarienne, invariant dans la substance, c'est l'essence même du parti historique, compris comme mouvement des faits réels qui tend à la destruction du capitalisme. Un tel programme et son caractère exhaustif sont liés au niveau de développement atteint par les forces productives et par les rapports sociaux de production. Le parti historique, pour Marx et pour la Gauche, c'est le mouvement matériel qui dans les faits porte à la polarisation en vue d’un objectif. Pour mieux l’exprimer, ce dernier est le "dépositaire" de l'ensemble des expériences théoriques et pratiques du mouvement communiste. C’est quelque chose de plus qu'une "bibliothèque" ou même que la doctrine : si tous les livres et chaque trace de mémoire venaient à être détruits, le marxisme se refondrait à partir des conditions objectives existantes. Le rapport entre parti historique et parti formel est donné, encore une fois, par les faits matériels. Nous vivons depuis plus de soixante-dix ans dans une phase dominée par la contre-révolution, mais, dialectiquement, s'il y a contre-révolution, il y a révolution. Marx, en 1860, refuse de reconnaître comme parti la vieille Ligue des Communistes morte et enterrée et, en même temps, il constate le développement du parti, même s'il n'a pas encore son expression formelle ; seulement quatre ans après sera fondée la Première Internationale, chose que Marx n'avait certain pas programmée. Quant à la défaite sanglante de la Commune de Paris, elle comporta aussi la rupture de cette première ébauche de parti formel qui allait déjà bien au-delà de la primitive "association des travailleurs" mais les déterminations matérielles des rapports entre les classes devaient avoir l'avantage et donner lieu, quand se seraient de nouveau présentées les conditions, à un nouveau rapprochement entre le parti historique et le parti formel :

« Après la chute de la Commune de Paris, il était naturel que les organisations de la classe ouvrière en France fussent rompues momentanément ; mais, aujourd’hui, elles recommencent de nouveau à se développer […] L'Internationale n'a dépassé sa première période d’incubation que pour entrer dans une phase de développement supérieur dans lequel sont déjà en partie réalisées ses tendances originelles. Dans le cours de ce développement croissant, elle devra encore subir d’autres métamorphoses avant qu'on puisse écrire le dernier chapitre de son histoire. » (48)

Le parti formel, organe indispensable et instrument du prolétariat pour son action révolutionnaire subjective, est l'incarnation du parti historique en organismes physiques faits de militants et de structures concrètes, qui surgissent sur la base de la situation existante. Si, aujourd’hui, l'organisme formel – sujet – n'existe pas c’est parce que les conditions – objet – ne le permettent pas. Cependant, beaucoup font la confusion sur ce point : séparer avec une barrière les facteurs objectifs des facteur subjectifs, cela n'a pas de sens ; pour communiquer, nous devons utiliser des conventions linguistiques, décrire la réalité par des processus d’abstraction comme dans les sciences, mais en pratique objectivité et subjectivité ont chacun des interactifs effets sur l'autre, nous ne définissons donc pas au hasard le parti comme produit et facteur de l’histoire. Dans un texte de notre courant, on lit :

« La praxis marxiste correcte affirme que la conscience de l'individu et aussi de la masse suit l'action et que l'action suit la poussée de l'intérêt économique. Ce n'est que dans le parti de classe que la conscience et, dans des phases déterminées, la décision d’agir précèdent l'affrontement de classe. Mais une telle possibilité est organiquement inséparable du mécanisme moléculaire des poussées physiques et économiques initiales. » (49)

En certains moments donnés de la collision entre les classes, se produit la polarisation des intérêts tant prolétaires que bourgeois et entre les classes une séparation nette arrive pendant que les actions portent à la collision. C’est dans ce processus que se forme et se développe l'organisme formel du prolétariat. C’est une rencontre entre conditions objectives et subjectives, entre une classe qui se "dresse spontanément à la lutte" et la perspective scientifique de son devenir à travers une direction consciente. Le dénominateur commun de beaucoup de déviations produites dans l'histoire du mouvement ouvrier, Gauche comprise, est la mauvaise compréhension de la différence profonde qui existe entre l'activisme et l'activité ou entre "le faire" volontariste et la pratique révolutionnaire établie par le "plan systématique d’action" léninien, à ne pas choisir entre tant de disponibles, mais donné par le degré de mûrissement effectif existant en de grandes époques historiques et sur des continents entiers, et non par l’aspect contingent et local.

Sans une connaissance théorique approfondie du degré de maturité des forces productives et du mouvement économique qui porte les classes à s’affronter, il ne peut pas y avoir de direction consciente des forces révolutionnaires et il ne peut donc pas y avoir de tactique cohérente. Les mouvements ou partis qui font abstraction de ces bases fondamentales se nient par conséquent toute possibilité d’une vision future du mouvement réel et ne peuvent que représenter un existentialisme tendant à s'occuper seulement du présent immédiat. Ils sont et seront portés à interpréter le mouvement à travers ce que celui-ci exprimera sur lui-même et donc toute fonction directrice leur sera niée, étant donné que leur attitude les mettra à la queue et pas à la tête des forces en mouvement.

Ainsi, dans les différentes situations historiques, la fuite n'est pas permise aux militants du parti vers les expédients politiques : il est par contre péremptoire d’être cohérents avec les possibilités réelles d’action qui peuvent se manifester à travers les actions les plus variées des hommes. Mais il ne faut pas évaluer seulement celles-ci : il faut les évaluer en rapport avec les raisons matérielles de leur déchaînement. À ce propos, doivent être rappelés, à titre d’exemple, l'écrit magistral de Trotsky sur le 1917 Russe et le commentaire que la Gauche en fit en 1924. Le sujet est le problème de l'insurrection et l'évaluation différente de la maturité de la collision, du potentiel révolutionnaire et des forces en présence donnée par Lénine et par Zinoviev-Kamenev, terrain de vérification formidable du binôme théorie-pratique.

Les considérations sur l'activité militante dans les situations historiquement défavorables comme celle d’aujourd’hui sont amplement développées dans nos Thèses ((50), mais il est utile de bien confirmer quelques éléments. Le marxisme est une science et comme telle ne traite pas la matière sociale différemment de comment les autres sciences traitent leur matière. Ceci renvoie au problème de la méthode. En physique, par exemple, la théorie est liée à l'expérimentation. L'expérimentation étant, cependant, impossible sur le terrain social, pour avoir des résultats certains, il faut déterminer une série d’éléments observables (facteurs économiques, éléments dans le cadre des rapports entre états, etc.). En pratique, on doit isoler de l'ensemble chaotique des facteurs les éléments fondamentaux, c'est-à-dire rechercher les invariants historiques, observer les événements dans leur dynamique, les raccorder dans une vision organique sur la base de la doctrine consolidée, anticiper les tendances matérielles, connaître les objectifs à atteindre et les instruments pour y arriver. Un travail principalement de recherche sur le terrain, autour duquel se forme une école, un courant politique.

Le bagage théorique à disposition des militants est la base, le patrimoine qui synthétise la mémoire historique avec l'expérience et la critique qui représente donc la possibilité d’achever le parcours accompli et atteindre les instruments critiques les plus puissants, la possibilité de vérification pratique dans les moments où ceci sera rendu possible par les faits.

Un tel patrimoine, dont la dernière expression dans le temps est l'élaboration et l'expérience de la Gauche, a été et est encore revendiqué par beaucoup, au point de représenter un courant marxiste générique. C’est évident que pour nous il faut entrer dans le cœur de ce bois non seulement avec le lance-flammes bordiguien mais avec l’arme désintégratrice la plus puissante qui puisse exister.

Dans ce bois un peu marécageux, pataugent, vivotent, souffrent ou travaillent des personnages, des groupes et des partis de tout genre. Le va-et-vient est pathologique et provoque un renouvellement spasmodique, mais des exemples de ténacité ne sont pas exclus. Beaucoup ont oublié les références originaires ou s'en fichent complètement. Quelques-uns s'entêtent à vouloir représenter une continuité avec quelque chose ou quelqu'un : le communisme, le conseillisme, l'anarcho-syndicalisme ou Marx, Lénine, Mao, Trotsky, Bordiga et d’autres encore. La continuité idéale, le souvenir ou la transformation en icônes inoffensives est autre chose, il est bien de le souligner, que la continuation effective par rapport aux prémisses. La continuation effective du travail d’un courant – appelons-le marxiste par commodité d’expression – ne peut pas être la répétition exclusive de souvenirs ou de thèses mais doit être une continuation effective du même travail sur la base d’invariants qui doivent être bien déterminés, nécessite des observations sur le terrain effectuées avec le bagage précédent et nécessite enfin une analyse selon un programme précis. Programme, dans ce cas, n'est pas le synonyme banal de séquence opérationnelle mais c’est l’énonciation préventive du résultat que l’on veut atteindre. Pour exister et vivre, qui se fixe un tel programme a besoin d’œuvrer avec des lois, des paramètres, des "modèles", comme le cerveau a un besoin continu de stimulations pour pouvoir opérer des relations, finalement, pour banalement pouvoir penser.

Il y a maintenant un tas de gens qui fournissent des intentions, mais sans la moindre relation avec le passé et l'avenir, et qui pour cela restent des intentions et ne deviennent pas des programmes. Ces bonnes volontés, très créatrices, veulent enrichir le marxisme avec de nouvelles données déduites, c’est naturel, de nouvelles situations parce que le brave Marx, lui, reste une vieille barbe du dix-neuvième siècle. Au-delà de leur créativité, ces gens sont aussi très actifs, ou mieux, vu qu'ils se trouvent à faire toujours les mêmes choses au fond, ils sont très activistes, c'est-à-dire qu’ils voudraient faire plus qu’ils ne peuvent.

Complémentaire à l'activisme de ceux-ci, ne pouvait pas ne pas exister ce que nous pourrions appeler la fausse ressource du principisme (51). C’est un phénomène bien connu de la Gauche depuis que chaque phénomène politique donne naissance à son homologue qui s'appelle généralement avec le même nom mais avec le préfixe anti. Ce fut avec ce type d’analyse que la Gauche prévit que le fascisme allait donner lieu à son pire produit : l'antifascisme. Il est évident que l'éclectisme innovant reste prépondérant, mais le principisme ne plaisante pas non plus. Il fonctionne ainsi : on prend une proposition marxiste à laquelle on ne peut renoncer que, par commodité, les révolutionnaires ont appelé "principe" ; on la revêt d’un sens immanent, d’une idée donnée à priori ; finalement, on la fait valoir comme la Parole de Dieu, de préférence contre ceux qui sont considérés comme hérétiques et punissables avec l'anathème au minimum. Qui agit de cette manière ne comprendra jamais que le marxisme n'a pas de principes comme il n'a pas de morale ou d’autres catégories empruntées à la société présente ! Trotsky parle de Leur Morale et la Nôtre dans un livre célèbre, mais même un enfant ne penserait pas davantage qu'avec ceci il serait donné aux communistes d’avoir une morale. Qui peut jurer que Lénine n'ait jamais parlé non seulement de démocratie et de principes mais aussi de morale ? Nous, nous ne concédons rien aux principes et à la morale, termes qui contiennent en eux un sens d’immanence, nous sommes seulement obligés d’utiliser une langue qui n'a pas encore été trempée dans la révolution.

Comme preuve de notre axiome typique selon lequel la souche originelle de tous les " ismes " déviants réside dans l'aïeul unique Proudhon, non seulement chacun peut observer l'existence complémentaire de l'éclectisme créateur-activiste et du principisme maniéré, mais aussi celle de leur union sous le même drapeau. Il résulte ainsi qu'activisme et principisme ne sont pas deux choses distinctes mais les deux faces d’une même médaille. Les plus acharnés partisans du parti formel d’une époque qui a vu s'autodétruire la fine fleur des partis formels, sont aussi les plus grands partisans (tout autant formels) des principes sacrés. Eh bien, c’est vraiment de ce côté que s'observe le pire activisme du genre. Laissez-nous nous exclamer avec notre texte : proudhonisme résurgent et tenace ! (52)

Nous discutons souvent et aussi plutôt avec vivacité entre nous, mais nous n'aimons pas descendre en lice pour participer aux tournois de batracomyomachie qui, de temps en temps, apparaissent sur la presse internationaliste vraiment parce que nous ne sommes pas particulièrement indignés que quelqu'un dise des choses qui selon nous sont des bêtises. Nous trouvons cela normal, nous le déduisons de nos textes. Il s'agit de l'effet d’une contre-révolution de soixante-dix ans et face à elle la faiblesse théorique et pratique n'est pas exorcisable ; on peut la prendre comme un état de fait et on cherche à ne pas y tomber avec le seul moyen disponible : l'assimilation des bilans de l'histoire et l'action conséquente. Aujourd’hui, il n'existe pas une activité de parti qui puisse influencer les événements, même pas de la part des grands partis bourgeois. Le classique "renversement de la praxis" est encore bien loin. Aujourd’hui, le classification des instruments théoriques, la recherche y compris dans le monde bourgeois de ces éléments qui nous confirment les capitulations de la bourgeoisie face au marxisme, l'assimilation non livresque des résultats des batailles passées, la réverbération de tout ceci sur les nouveaux militants, sur les nouvelles générations, voilà un travail pratique, une activité, celle qui correspond aux devoirs des militants communistes dans une situation encore défavorable, d’ailleurs destinée à l’être pour beaucoup de temps encore. La constitution et la disparition des groupes, des partis, les défections, toute l'agitation – si peu visible aux "masses" – des individus lancés en des batailles souvent peu édifiantes, tout ceci n'est pas nouveau dans le mouvement communiste et peut même être utile pour la sélection des forces futures. Bordiga écrivait en 1950 :

« Il est naturellement compréhensible à tous que le matérialisme marxiste à peine né ne trouva pas ni n’enregistra d’un coup toutes les lois scientifiques sociales, ni ne les codifia, non plus dans les œuvres monumentales comme le Capital, en des textes qui pour les disciples et les militants du mouvement se présentent comme définitifs. La recherche et l'élaboration continuèrent et continuent : elles ne purent pas ne pas donner lieu à divergences et oppositions qui, si elles ne s'appelèrent pas Conciles, schismes, hérésies s'appelèrent Congrès, révisions, scissions politiques. Mais ceci n'enlève pas que le mouvement dans son ensemble ne peut pas vivre et gagner sans l’arête dorsale de la doctrine, parfois brute si on veut, qui, à travers la lutte, doit être portée intact en son tronc vital jusqu'à la victoire. » (53)

Il ne s'agit pas non plus de voir qui réussira à maintenir intacte l’arête dorsale de la doctrine, parce que personne ne peut le décider, parce qu'aujourd’hui personne n'est poussé par des forces aptes à permettre un vrai développement de la théorie marxiste prévu par la doctrine et anticipé par nos thèses spécifiques. Le développement d’une théorie ne veut pas dire transformation d’une chose en une autre – caractéristique propre au changement – mais des pas en avant dans la recherche, élaboration de l'existant, comme Galilée, jugé par les aristotéliciens, déclarait être le meilleur élève d’Aristote lui-même parce qu'il ne s'arrêtait pas aux résultats qu’il avait atteints.

La science marxiste n'indique pas seulement les nécessités de l'histoire qui s'imposent aussi à chacun et aux classes, mais signale les lois objectives pour lesquelles de telles nécessités peuvent et doivent, à un certain tournant de l'histoire, se traduire en actions conscientes, dans le renversement de la praxis, quand le prolétariat, à travers son organe politique, impose une direction aux événements. Il faut que cette science trouve un terrain fertile, se développe avec force à travers l'intelligence collective d’hommes liés organiquement à un même programme, dans une équipe organisée qui les unisse avec un seul entendement, une seule pensée, une seule action.

Le parti de la révolution naît et vit dans la défense vaillante de la théorie qui, point d’approche de toute la connaissance précédente, reste inchangée pour toute la phase qui inclut la domination bourgeoise et la dictature du prolétariat jusqu'à la l'extinction de l'État, quand s'éteindra aussi le parti lui-même,

« à moins que l’on entende par parti un organe qui ne lutte pas contre d’autres partis mais qui assure la défense de l'espèce humaine contre les dangers de la nature physique et de ses processus évolutifs et probablement aussi catastrophiques. » (54)

V. À LA RÉVOLUTION NE SERVENT PAS DES IDÉES MAIS LA FORCE

OÙ ON CONCLUT QUE LA FAIBLESSE NE SE TRANSFORMERA PAS EN FORCE POUR LES SEULS DÉSIRS DES HOMMES DE BONNE VOLONTÉ, MAIS PARCE QUE LE MOUVEMENT MATÉRIEL SE SOUDERA AU PROGRAMME ET À L'ORGANISATION CENTRALISÉE DU PARTI

Quelques années après la publication du Que faire ?, Lénine précise devant les critiques que la brochure ne voulait pas être un manuel pour modeler la classe et le parti à la volonté d’un groupe spécial de chefs, mais un instrument de bataille contre qui ne comprenait pas que la révolution a non seulement besoin d’une vaste activité économico-syndicale mais d’un programme politique et d’une organisation centralisée. La devise "aller vers les masses" n'a pas de sens marxiste parce que ce seront les "masses" qui iront vers le parti et exigeront d’en être guidées. Aujourd’hui, aller vers les masses signifierait quelque chose comme aller s’asseoir devant la télévision. Ce que Lénine explique c'est l'extraordinaire succès obtenu par ce parti, le seul qui a su travailler avec la classe ouvrière sans se mettre à sa remorque, en se donnant une organisation centralisée, disciplinée, anti-dilettante, professionnelle et fermement opposée aux improvisations et au travail empirique. Un parti qui, en même temps, était fermé et ouvert, totalitaire comme le plan de production d’un atelier, mais apte à être sensible à la spontanéité généreuse du prolétariat, d’en recueillir les aspects utiles à la révolution comme d’en démolir ceux négatifs.

« Bien entendu, la cause première de ce succès réside dans le fait que la classe ouvrière, dont les meilleurs éléments constituèrent la social-démocratie, se distingue, pour des raisons économiques objectives, de toutes les classes de la société capitaliste par une plus grande aptitude à s'organiser. N’était cette condition, l'organisation des révolutionnaires professionnels eût été un jouet, une aventure, une façade sans rien derrière et la brochure Que Faire ? souligne à maintes reprises que cette organisation qu’elle défend n’a de raison d’être qu’en liaison avec la "classe réellement révolutionnaire et qui monte spontanément au combat". Mais l’aptitude, objectivement maximale, du prolétariat à se regrouper en classe est réalisée par des êtres vivants, dans des formes d’organisation déterminées et pas autrement. » (55)

Entre l'appartenance au prolétariat, la participation à ses luttes, le fait d’avoir aussi conscience de sa propre force comme classe, d’une part, et la connaissance rationnelle des lois qui régissent le mode de production capitaliste, d’autre part, il y n'a pas de relation directe. La condition matérielle que le prolétariat vit peut le porter soit à s'adapter temporairement à cette société qu'à se sentir partie d’une classe précise instinctivement et à s'organiser pour la défense ou la satisfaction d’intérêts immédiats. La base objective sur laquelle peut se développer un processus de la conscience est la même aussi qui peut mener à la passivité interclassiste.

Pour que se forme dans l'individu – qui peut être un prolétaire mais aussi quiconque subissant l'influence du monde capitaliste en contradiction – une conscience rationnelle de l'être social, l'apport des faits matériels de la vie quotidienne de l’individu ne sont évidemment pas suffisants, mais il faut avant tout des facteurs historiques matériels. De tels facteurs peuvent être représentés par un important mouvement social mais aussi par ce qui a été historiquement inscrit dans l'expérience passée de la classe, ce qu'on peut définir comme la ligne de classe représentée par le parti.

S'il est vrai que le parti historique ne meurt jamais, ses déterminations étant liées à un mode de production bien précis et aux rapports de classe bien précis, il est vrai aussi que son existence est garantie par la transmission physique des expériences passées, des lambeaux de connaissance qui restent dans la mémoire sociale. À moins d’imaginer une catastrophe qui efface complètement chaque mémoire, mais dans ce cas nous assisterions à la reformation ex novo, à partir des contradictions du capitalisme, de la théorie révolutionnaire ; hypothèse qui pourrait aussi comporter le renvoi pour de longues décennies de la révolution, mais ne l'éviterait pas.

Des milliers de groupes ont existé et existent dans le monde entier, de partis, de syndicats, d’institutions, de bandes armées, de fondations, de missions, etc. adonnés à l'étude, à la propagande, à la recherche et à l'action possible sur la base des thèses marxistes. Normalement, selon un jugement des uns sur les autres, aucun de ces organismes ne se met dans la "ligne marxiste juste" et ceci est évident car autrement ils seraient unis. Qui est à l'extérieur des batailles de classe trouve absurde cet éparpillement et pourtant il est naturel. Même les différences "idéologiques", les nuances byzantines et les terrains d’action respectifs peuvent sembler absurdement subdivisés, mais l'incohérence tant organisationnelle qu'idéologique est le fruit de la révolution manquée, certainement pas la cause. Les choses sont donc nécessairement ainsi.

Du reste, la cohérence et l'incohérence ont des frontières nuancées : nous avons connu des chrétiens qui digéraient avec sérénité des doses de matérialisme historique et dialectique bien plus massives que tout que ce que faisait l’immense majorité des "camarades". Il existe des sectes mystiques basées sur une absence de propriété et sur une vie communautaire pratique qui sont plus cohérentes que beaucoup de théorisations des gemeinwesen communistes idéalisées et en rien pratiquées.

Il existe donc un besoin réel de communisme qui ne réussit pas encore à se révéler à travers une activité révolutionnaire organique et centralisée, situation déjà connue au cours de l'histoire. Tout homme qui agit en vue d’un but productif ou social – qui ensuite est le même – est contraint de travailler de manière organisée, donc l'organisation est une nécessité, pas un principe mystique ; ce qui, à un certain point, devient une nécessité spéciale et peut donc être assimilé à un principe auquel on ne peut pas renoncer, c'est le centralisme organique tel qu’il s'est mis en place à travers l'expérience du mouvement révolutionnaire spécialement après la défaite de la Troisième Internationale.

Beaucoup, en partant de ce nécessaire fondement, constituent un groupe-parti à partir d’un minimum d’agrégation de thèses historiques ou sur de nouvelles thèses élaborées sur l'exemple de celles-là, et adoptent des modèles d’organisation formelle du passé auxquels, par force, ils ne peuvent pas rester fidèles. En effet, ce sont des modèles qui supposaient un lien avec la classe ouvrière, une situation du tout différente de celle d’aujourd’hui, mais surtout qui faisaient partie d’un cours historique irréversible. Par exemple, le centralisme démocratique ne sera pas plus jamais à la base de l'organisation communiste révolutionnaire. D’autre part, des formes d’agrégation antiparti sont aussi théorisées alors que les expériences passées en ont montré non seulement le manque d’efficacité de fond mais aussi le conséquent défaitisme.

Maintenant, pendant que nous nions que la "confrontation" et le "débat", les formes d’agrégation entre organisations, le prosélytisme aveugle tendant à "endoctriner" les militants une fois encadrés dans les rangs, amènent quelque résultat, en même temps nous affirmons que l'organisation révolutionnaire se formera et se développera en utilisant le matériel existant et certainement pas en créant en laboratoire des hommes nouveaux. Personne ne fait plus que nous confiance aux nouvelles générations et notre optimisme nous pousse à être sûrs qu'elles contribueront à balayer les acteurs grisonnants de la batracomyomachie actuelle. Mais même les nouveaux leviers ne se prépareront pas exclusivement en bibliothèque : ils seront amenés à se heurter à l'insupportabilité de l'existence dans un monde capitaliste toujours plus dégénéré et ensuite l'extrême faiblesse actuelle dérivante d'une situation objective qui alimente l'incompréhension du mouvement réel antérieur sera dépassée. Ce mouvement a affronté et résolu par la théorie des batailles qui restent comme une expérience indélébile et

« Ceci [lui] donne la possibilité, on ne dira pas le droit, [...] de comprendre mieux que tout autre pour quelle condition le parti véritable, actif, et donc formel, peut rester totalement fidèle aux caractéristiques du parti révolutionnaire historique qui existe potentiellement depuis 1847 alors qu'en pratique il s'est affirmé dans de grandes déchirures historiques à travers la série tragique des défaites de la révolution. » (56)

La définition du parti contenue dans les Thèses de la Gauche et dans ses autres écrits n'est pas donc un modèle à atteindre comme ceux des utopistes mais le résultat de batailles, de victoires et de défaites. En effet, si nous ne voulons pas parler de l'aujourd’hui qui nous voit directement engagés dans l'application de telles thèses, on peut prendre un exemple en recourant à l'histoire parallèle et par certains aspects semblables de la Gauche "italienne" et du bolchevisme dans les années précédant la Première Guerre Mondiale. Même si en Italie il y n'avait pas la situation des cercles et si en Russie il y n'avait rien de semblable au vieux Parti Socialiste, même si ici on luttait contre une dégénérescence pendant qu'on luttait là contre un infantilisme de croissance, les formes opportunistes étaient identiques et les solutions contre elles aussi. Ce n’est pas pour rien que la Gauche refusa de définir le bolchevisme comme phénomène spécifiquement asiatique – il était né en Europe – et l’appela "plante pour tout climat" pour en souligner l'internationalisme partout valide. Il est donc évident, au moins pour nous, qu'on ne peut pas faire abstraction des résultats atteints par le bolchevisme et la Gauche. Seulement, le bolchevisme a accompli son parcours et le courant auquel nous nous référons n'existe physiquement plus.

Au-delà de la rhétorique banale de qui recueille les drapeaux tombés dans la boue ou laissés à l'ennemi – Togliatti en ce qui concerne le passé récent mais chaque ramasseur de drapeaux tombés en chaque époque – il faut non pas tant savoir comment on pourrait reproduire les conditions de cette époque, chose impossible, que pouvoir anticiper quelles sont les possibles "transformations sous invariants" que nous devrons affronter à l'époque actuelle. Cela revient à dire quelles conditions doivent être respectées pour rester fidèles aux thèses sans singer des choses ne pouvant être répétées et aussi sans inventer des choses en-dehors du marxisme.

Se mettre à critiquer les "autres" parce qu'ils ne sont pas différents de ce qu'ils sont serait puéril, même si c'est un sport plutôt en vogue. Ce qui nous intéresse c’est de déterminer quelle voie la révolution prendra pour changer la situation actuelle, parce que nous voudrions être là quand cela arrivera et pas ailleurs. Une fois déterminée une telle voie, nous voudrions si possible aussi la parcourir, mais nous ne sommes pas de ceux qui, comme le dit Bordiga, croient avoir acheté le billet du spectacle futur et prétendent avoir le droit d’y assister de la place réservée. Cela dépendra de nous seulement pour une infime partie.

Notre tendance à constituer un réseau de liaisons, à faire circuler le résultat du travail collectif, à nous donner une organisation centralisée, à tenir vivante une école politique en fonction du parti, tout ceci ne signifie pas que nous voulons fonder un parti. À la révolution et à son parti ne servent ni les idéaux ni même les idées, étant donné que le programme est déjà défini, le parcours aussi et les instruments ont déjà été décrits. À la révolution servent la force et l’énergie, éléments qui peuvent dériver seulement du mouvement de classe. Chaque velléité "constructiviste" doit faire les comptes avec cette réalité, continuellement confirmée par notre courant.

Lénine mettait le journal au centre des problèmes d’organisation du parti et aussi comme ossature autour de laquelle celui-ci se renforçait. Comme nous l’avons déjà dit dans notre Lettre n°31, Démons dangereux, on peut parler aujourd’hui de la même ossature même sans qu'il y ait, y compris au loin, de parti comparable à celui auquel pouvait faire référence Lénine. Non sans raison, chaque groupe et chaque parti a un journal, un magazine ou au moins une feuille informative, spécialement aujourd’hui que les problèmes de presse sont infiniment plus simples que ceux que devaient résoudre les bolcheviks. On ne peut pas inventer la révolution et peut-être même pas un journal révolutionnaire, mais la réalisation d’un magazine qui recueille le travail des camarades est le moins que l’on puisse faire pour maintenir les liaisons et faire circuler le travail, "le réverbérer", selon l'expression utilisée dans les Thèses de Naples et en recevoir en retour d’autres résultats.

Alors, aujourd’hui, un organe de presse qui réponde aux caractéristiques décrites par Lénine et la Gauche ne pourrait pas être un organe de parti dans le sens vivement actif de lien entre militants et "masses", d’organisateur politique, d’organe de bataille. Quand on dit que le parti et son journal sont organes de bataille, il est évident qu'aujourd’hui on utilise un euphémisme lexical, emprunté à l'habitude de répéter des choses écrites aux périodes révolutionnaires. Il y n'a aujourd’hui aucune bataille en cours, si non celle de la sauvegarde d’un patrimoine historique, ni même la plus pâle trace de possibilité d’amorce du feu d’artifices. Aussi, l'organe de presse est contraint pour l’heure de s’acquitter du devoir en rien secondaire de recueillir le travail et de le transformer en un autre matériel de travail autour duquel s'élargissent aussi numériquement les rangs des militants révolutionnaires. Il s'agit d'un organe ouvert à la meilleure diffusion et aux contributions, mais solidement arrimé à sa position programmatique ; ses lecteurs et ses collaborateurs doivent assumer le langage unique de toutes les vraies écoles politiques, l'attitude unique devant les problèmes et la manière de travailler ; son milieu de circulation doit représenter un milieu férocement anticapitaliste dans lequel les camarades agissent pour enraciner la théorie quelque soit la spécificité locale.

Note

(1) Dialogue avec Staline, Première Journée.

(2) Le courant qui fonda le Parti Communiste en Italie exigeait que l’Internationale devienne un vrai parti communiste mondial unique et non une fédération de partis nationaux. L’utilisation de l’adjectif "italienne" est, en réalité, tout à fait impropre. En ce texte, nous utiliserons simplement le terme "Gauche".

(3) Considérations sur l’activité organique du parti quand la situation générale est historiquement défavorable, point 11, Il programma comunista, n° 2 de 1965.

(4) Ibid., point 14.

(5) Redresser les Jambes aux Chiens, première publication italienne sur Battaglia Comunista n°11 de 1952.

(6) A. Lalande, Dictionnaire de Philosophie, entrée "intuition".

(7) Chap. XVII, Utopie, Science, Action.

(8) L. Geymonat, Galileo Galilei, Einaudi, p. 277.

(9) Id., p. 278.

(10) cf. Le Battilochio dans l’histoire où l’on trouve la définition : à Naples, " C’est un gars qui attire l’attention mais, dans le même temps, il se révèle d’une vacuité totale ". L’expression française la plus proche est peut-être : " Coco-Bel Œil ".

(11) L’Idéologie Allemande, Ed. Sociales, p.243.

(12) Id., p.251.

(13) Id., p. 180.

(14) Écrivain-philosophe, a écrit La Rébellion des Masses (1930), une tentative d’hybridation du socialisme et du libéralisme pour rendre à l’individu sa priorité face à la massification croissante.

(15) Il aurait été plutôt ardu de raconter les délices du Moi aux un million et deux cent mille hommes tués en masse dans la seule bataille de la Somme.

(16) Si l’on veut, même quatre : en Russie, étaient présents des restes de la communauté primitive, des restes du despotisme asiatique, des formes féodales et le capitalisme moderne.

(17) Diderot, Œuvres, tome I, Philosophie, Robert Laffont ed., p. 163. La citation est reprise par Lénine dans Matérialisme et empiriocriticisme.

(18) Entretien entre D’Alembert et Diderot, Œuvres, tome I, p. 618.

(19) Id., p. 619.

(20) Id., p. 620.

(21) Il programma comunista, n°23 de 1960. Enseignements du passé, etc. Introduction aux thèmes Marxisme et Connaissance Humaine. Dans le texte, le travail sur le dictionnaire est donné comme arrivé "à un bon point" mais il ne vit jamais le jour. Les Thèses, par contre, furent élaborées et sont rassemblées aujourd’hui avec celles d’avant-guerre dans le volume En Défense de la Continuité du Programme Communiste.

(22) Diderot, Œuvres, t.I, p. 631 à 633.

(23) Id., p. 636-637.

(24) G. Leopardi, Zibaldone di pensieri, ed. Mondadori, vol. Secondo, p. 1128.

(25) D. Diderot, Interprétation de la Nature, in Philosophie, p. 563.

(26) Suchanov, La Révolution Russe, Editions Stock, p. 135.

(27) Marx-Engels, Correspondance, Tome II, p.143.

(28) La référence, incompréhensible pour qui n’était pas dans le vieux parti durant notre bataille interne avant sa liquidation [1982], va aux véléités de certains " militants " qui théorisèrent des pratiques de commis voyageurs pour sponsoriser la production de la Gauche auprès de groupes de prolétaires qui étaient déjà bien fournis par ailleurs des produits disponibles sur le marché.

(29) L’Idéologie Allemande, Ed.Soc., p. 33, note 1, souligné dans le texte.

(30) Che Cosa è la Sinistra Comunista, ed. Quaderni Internazionalisti.

(31) F. Engels, Les Communistes et Karl Heinzen.

(32) Le Battilochio dans l’Histoire.

(33) Cf . notre brochure Schéma d’Orientation-Principes Fondamentaux du Communisme.

(34) Par exemple, chez Saint Augustin à propos de sa propre conversion: "J’ai commencé à préférer la doctrine catholique parce que je l’ai trouvée aussi plus équilibrée et absolument sincère dans la prescription d’une foi sans démonstrations qui, parfois, sont présentes mais pas pour tous et qui parfois n’ont pas lieu du tout. En revanche, le manichéisme promettait avec témérité une science, au point de se moquer de la foi, et puis il empêchait de croire à un grand nombre de fables tout à fait absurdes qui étaient indémontrables."[Les Confessions] Saint Augustin raconte sa conversion come une résistance du cerveau vis-à-vis du reste du corps: ce dernier voulait suivre la nouvelle voie mais il en était empêché par la volonté qui réussissait à commander chaque mouvement isolé des membres mais était impuissante à se diriger soi-même. Dans le moment culminant du passage au nouveau credo, le cerveau de Saint Augustin s’obstine encore dans le refus et, "dans la tempête de l’hésitation", ne se dirige pas vers la volonté du Dieu et son pacte, "vers lesquels tous mes os crièrent qu’il fallait aller" [id.] ce qui est la formule souvent utilisée dans la Bible quand il y a conflit entre déterminations matérielles (foi) et résistance du Moi subjectif.

(35) Neveu de Constantin, acclamé empereur par l’armée en 360 après J.C. ; il régna seulement trois ans en tentant de restaurer la paganisme et une réforme de l’état inspirée de la Rome moins décadente des siècles précédents.

(36) Éd. Prométhée.

(37) Printemps fleuris du Capital.

(38) Printemps fleuris du Capital.

(39) Dirigeant de la "Ligue du Nord", parti italien fédéraliste de la petite-bourgeoisie.

(40) Ibidem.

(41) Littérature & Révolution, ed. 10/18, p. 157 .

(42) cf. Lettera n°31, Demoni pericolosi.

(43) Existentialisme, in Prometeo n°11 de 1948.

(44) Cf. le paragraphe Merci Vladimir… dans ce texte.

(45) Littérature & Révolution.

(46) A. Bordiga, Relativité & Déterminisme.

(47) A. Bordiga, Construction Générale du Rude Travail de notre Mouvement, il programma comunista, n°8 de 1960.

(48) K. Marx, A Propos de l’Histoire de l’Association Internationale des Travailleurs de M. Howell, 1878.

(49) Résumé de la Réunion de Rome du 1er avril 1951, point 3, in Théorie et Action dans la Doctrine Marxiste.

(50) En particulier dans Considérations sur l’Activité Organique du Parti quand la Situation Générale est historiquement défavorable, 1965.

(51) Jeu de mots créé en paraphrasant un titre de la Réunion de Milan du 7 septembre 1952, Fausse ressource de l’activisme.

(52) Fondements du Communisme révolutionnaire…

(53) A. Bordiga, Eglise et foi, individu et raison, classe et théorie, septembre 1950.

(54) Thèses de Naples, point 11.

(55) Lénine, Préface à En Douze Années, O.C., tome 13, p. 103, corrigée par nos soins.

(56) Considérations…, point 14.

* * *

De: "Fantomes carlyliens", publié dans "Il Programma Comunista" n. 9, 1953:

Plus personne ne viendra

L'histoire des opportunistes et des trahisons des trois internationales peut se réduire à la frénésie active et passive de la personnalisation.

La raillerie d'Engels à l'égard de Carlyle s'achève par l'examen de sa théorie du noble et de l'abject, qui s'exaspère dans la manie de trouver les extrêmes, les sommets de l'un et de l'autre. Les nobles élimineront les ignobles, petit à petit le plus noble pendra le plus gredin, et il ne restera plus à Carlyle, seul dès lors, qu'à se pendre lui-même. Ceci est peut-être un jeu dialectique, mais il est certain que l'idiote doctrine du criminel historique ne pouvait induire rien d'autre.

Mussolini, par exemple, n'aurait jamais pris un tel relief, et son autoexaltation dans les rangs de ceux qui le suivaient n'aurait pas été si poussée, si de la partie adverse on ne l'avait pas gonflé jusqu'à en faire le banditissime carlylien, la source profonde de tout mal, comme il en avait été avec Guillaume, et comme il en fut à peu près de même pour Hitler. Les anti-fascistes bourraient les oreilles de tout un chacun en disant qu' «il» avait fait ceci et cela, qu'il forait ceci et encore cela, et il fallait leur rappeler la petite règle grammaticale selon laquelle le pronom sert à rappeler un nom déjà cité.

A l'époque actuelle, nous tendons à fonctionner sans aucun «lui». Cela advient dans l'économie. Il en sera de même, si le marxisme n'est pas une simple sauce vulgaire, dans la politique, la science et l'art. Nous n'avons pas besoin pour l'apprendre de voir en Russie le régime bourgeois sans bourgeois, et de voir que Malenkov, comme Staline, ouvre et ferme comme un robinet la verve créatrice des écrivains et des artistes, des peintres et des musiciens.

Il suffisait de lire chez Engels, dans le chapitre crucial de l'Anti-Dühring ce qu'est la phase D (que les imbéciles ont «découverte» en 1950) du cycle capitaliste.

«D- Reconnaissance partielle du caractère social des forces productives s'imposant aux capitalistes eux-mêmes. Appropriation des grands organismes de production et de communication, d'abord par des sociétés par actions, puis par des trusts, ensuite par l'État. La bourgeoisie s'avère comme une classe superflue; toutes ses fonctions sociales sont maintenant remplies par des employés rémunérés».

Après cette démonstration, on passe à la «révolution prolétarienne».

Mais retournons au génie et au chef. Si le capitalisme finit par se passer de la personnalité, le communisme commence par là. La dégringolade épouvantable que la force révolutionnaire a accompli au cours de ces trente dernières années est en relation étroite avec l'exaltation continuelle des personnes, avec la maudite fabrication de génies inconnus que - comme défiés par un nouveau Carlyle - nous avons été assez crétins pour les mettre sur pieds. Le plus beau c'est que certains types d'imbéciles à faire peur, ont été élevés au grade de chef-marchandise, et que les moins imbéciles ont reçu cent fois les épithètes d'abject et de vauriens.

La grégarisation de la classe ouvrière est parvenue à son extrême. Pendant de longues décennies, elle est restée stupidement à attendre, non l'heure du combat pour ses propres buts et son propre programme, mais que «lui» s'en fut allé, et, quand les différents lui sont réellement partis, elle s'est retrouvée plus esclave qu'avant.

Après ils l'ont mise en condition d'attendre avec foi que «Joseph vienne». Mais Joseph est mort sans entreprendre le voyage. Toutefois on répète aux travailleurs non de se mettre en mouvement à l'aide de leurs propres moyens, mais au contraire d'attendre qu'un autre vienne. Pourtant dans toutes les révolutions le Messie fut improductif. Même le mythe chrétien le déclare. Les apôtres demeurèrent tristes et désemparés, ainsi que les autres disciples mineurs, quand Jésus annonça sa disparition prochaine. Comment ferons-nous, comment feront les foules, privés de Ta direction?

Mais le Christ dit: Je dois retourner auprès de mon Seigneur et Père. C'est trop facile pour vous de me voir ici comme personne physique, faite chair, que vous supposez douée de tous les pouvoirs, tandis que je succomberai physiquement sous les coups de l'ennemi. C'est seulement après mon départ que l'Esprit Saint, invisible et impalpable, descendra parmi vous et les foules du monde entier. Des millions d'humbles investis par lui vaincront les forces adverses, sans le Chef physique.

Le mythe représente en fait la force sociale, souterraine d'une immense révolution qui minait le sol de tout le monde antique.

Tout était facile quand le Maître faisait taire ou trembler tous, offrant des miracles, guérissant les infirmes, ressuscitant les morts, et faisant tomber l'arme des mains de l'agresseur.

Les ouvriers vaincront s'ils comprennent que personne ne doit venir.

L'attente du Messie et le culte du génie, concevables pour Pierre et Carlyle, sont seulement, pour un marxiste de 1953, une misérable couverture d'impuissance.

La révolution se révélera terrible, mais anonyme.

Fin

Articles de la Revue n+1