Ce que nous sommes et ce que nous voulons

2000 - 2005: La revue atteint cinq ans

«Nous ne nous présentons pas au monde en doctrinaires avec de nouveaux principes: voilà la vérité, mettez-vous à genoux! Nous développons pour le monde des principes nouveaux que nous tirons des principes du monde. Nous ne lui disons pas: renonce à tes luttes, ce sont des bêtises, et nous te ferons entendre la vraie devise du combat. Nous ne faisons que montrer au monde pourquoi il lutte en réalité, et la conscience est une chose qu'il doit acquérir, quand même il s'y refuserait.» [Marx à Ruge, septembre 1843]

I. - Une approche dynamique par rapport au milieu

1. Cette revue atteint ses cinq ans. Naturellement, le travail duquel elle participe a des origines beaucoup plus anciennes. C'est en identifiant une continuité avec les expériences antérieures que l'on peut apprécier jusqu'à quel point nous pouvons remonter dans le temps. Nous avons la conviction - peu originale, certainement - de plonger nos racines dans le communisme de Marx, mais peut-être nous distinguerons-nous mieux en précisant que nous voulons remonter beaucoup plus loin, au communisme originaire de la préhistoire et de la protohistoire, que nous rattachons au futur au travers du stade intermédiaire qui représente la société de classes. Cela est écrit dans des thèses qui font partie de la grande quantité des matériaux produits par l'humanité (pas seulement par quelques individus particuliers) et que nous posons comme fondements du «travail politique», conjointement et non de manière séparée de ceux de Marx, Engels, Lénine et de bien d'autres révolutionnaires. Nos archives historiques et éditoriales sont pour nous la preuve d'un relais historique au travers duquel le témoin est transmis de main en main au travers de complexes vicissitudes.

2. Comme on le voit, l'anniversaire de n+1 est très compliqué. Certes, la revue est la continuation des Lettres aux camarades, qui eurent déjà quelques centaines d'abonnés et sortirent de 1981 à 1999, mais les Lettres étaient elles-mêmes la conséquence d'évènements qui remontaient au milieu des années soixante-dix, qui à leur tour étaient le produit d'autres évènements qui se réfèrent à une chaîne pouvant être exprimée par quelques dates: 1952, 1921, 1917, 1871, 1848, 1789 et ainsi de suite. Ainsi, nous pouvons remonter jusqu'aux formes sociales de transition entre le communisme originaire et la civilisation. Il ne s'agit pas de s'amuser à inscrire sur notre blason le nom d'ancêtres illustres, mais d'un simple recours aux lois de la phylogenèse. Chaque espèce vivante, dans le grand scénario de la vie, naît, meurt, se développe ou s'éteint, tout autant que les individus qui la composent. Et les organismes sociaux humains, grands et petits, importants ou insignifiants, se comportent selon les mêmes lois. Notre fil rouge, à côté de quelques dates célèbres, en comporte d'autres non moins fondamentales, même si pour certains elles peuvent être absolument privées de signification par exemple, celles qui concernent spécifiquement notre courant ou celles d'importantes manifestations historiques du besoin du communisme (hérésies communautaristes, révoltes paysannes et prolétaires, changements d'époque, etc.).

3. Les dates sont des références utiles pour rassembler les faits, mais elles exposent souvent une périodisation trop sujette à l'arbitraire de celui qui les choisit il est donc indispensable de les utiliser selon les critères d'une continuité dans laquelle nous opérons des distinctions, tandis que la nature suit son cours. Du reste, même nos propres anniversaires sont des artifices qui ne correspondent pas à la continuité de notre vie réglée par bien d'autres cycles.

4. Le critère de la continuité est le seul à être cohérent avec le principe qui depuis quatre cents ans est au cœur du développement scientifique tous les bonds scientifiques, d'un niveau atteint à un niveau supérieur, adviennent comme une rupture draconienne mais, en même temps, ils englobent le niveau précédent. C'est ainsi que Galilée pourrait affirmer si Aristote était ici, il se rangerait du côté des nouvelles découvertes, non comme vous, prêtres, qui l'avez momifié dans un système immobile et l'avez utilisé contre moi.

5. Même l'apport des individus singuliers au travail commun doit être considéré sur le même mode temporel qui est continuité mais scandé par nous en unité de mesure. Chaque individu participe ou non à un tel travail selon des cycles finis, mais la façon dont les hommes se passent le relais est continue, comme sont continues la naissance et la mort des organismes politiques qui se réfèrent au communisme. Aujourd'hui, il ne reste plus avec n+1 que peu d'éléments parmi ceux qui se proposaient, il y a trente ans, les mêmes objectifs, mais de nouvelles forces se sont rajoutées, les objectifs demeurent et le travail aussi. Une extinction aurait pu survenir entre-temps, mais nous sommes convaincus que l'exigence de reprendre le même parcours aurait ressurgi autre part. Il existe par ailleurs des organismes qui tout en revendiquant la même phylogenèse se livrent à des activités différentes des nôtres, et plus d'un lecteur nous a écrit pour nous demander une confrontation entre «positions» et même un débat commun. Nous pensons qu'un tel type d'approche est inutile. Évidemment, il existe des différences et elles sont parfois énormes, mais la critique ne pourrait être que symétrique, réciproque, sans possibilité aucune de vérification ou de infirmation des résultats d'une part et, d'autre part, pour la simple raison que dans le champ social on ne peut pas faire d'expériences de laboratoire l'ultime réalité décisive est celle révolutionnaire qui balaye les organismes inaptes à affronter les nouveaux niveaux vers lesquels tend la vie organisée des hommes.

6. Il ne sert à rien d'instituer des mini-parlements antiparlementaires. Notre travail s'est développé (et se développe) dans une dynamique incessante avec tout ce qui se trouvait (et se trouve) autour de lui, et personne ne peut dire avoir trouvé porte close à une discussion qui pourrait faire avancer le travail lui-même.

II. - De fécondes prémisses qualitatives

7. L'existence d'une pléthore de groupes et de partis minuscules est, dans des périodes déterminées, un phénomène physiologique inhérent à la nature de la société humaine. Cela se vérifie à la veille de la révolution qui produisit le christianisme à partir de mille sectes judaïques; ça se vérifie au cours de la révolution européenne autour de l'explosion d'Octobre. C'est pour cela que si l'on nous demande quel est le phénomène qui caractérise l'activité politique actuelle, nous ne répondons pas par des lamentations sur le défaut d'unité ou sur les «Byzance communistes» - des analyses qui impliquent une action conséquente pour éviter ces inconvénients, en pratique le frontisme -; nous répondons que ce qui nous frappe plus que tout c'est l'extrême étroitesse des horizons d'autrui. Il y a des exceptions, qui concernent souvent des individus, mais en général c'est comme si la division sociale du travail exacerbée, typique de la maturité du capitalisme, s'était profondément répandue parmi ceux qui se réfèrent au communisme. Comme si eux-mêmes s'imposaient une absurde limitation de leurs intérêts et de leur activité. Comme si les communistes, à l'image des plombiers ou des électriciens, étaient des travailleurs spécialisés dans une discipline particulière au lieu de s'occuper de l'univers tout entier. Évidemment, ce n'est pas une question de «culture» mais d'adéquation à la confrontation avec la réalité (la connaissance est du cerveau social — parti — non de l'individu, et la révolution n'est pas une question de culture mais de force, selon notre vieille polémique avec les réformistes dès 1912).

8. Marx, Engels, Lénine et les révolutionnaires de chaque époque étaient très attentifs à ne pas limiter leur sphère d'intérêt et d'action, alors que les thèmes rabâchés sans fin dans la sinistrose groupusculaire ambiante se comptent sur les doigts d'une main nature et structure du parti révolutionnaire, rapports avec les syndicats, rapport entre le prolétariat et les autres classes par rapport à un capital en situation de maturité ou retardataire, diatribes entre les courants, courants que l'on fait toujours remonter à un personnage déterminé dont le nom, transformé en attribut, est utilisé pour les désigner. Les autres questions, comme l'antifascisme, la question nationale, le parlementarisme ou la tactique ne sont que des sous-ensembles que l'on peut ramener à quelques regroupements généraux qui forment l'ossature «programmatique» de tout, la foire des organismes qui se disent alternatifs par rapport à la politique bourgeoise. Non qu'il s'agisse de questions sans importance - c'est tout le contraire - mais ça ne sert à rien de cultiver durant des décennies toujours les mêmes diatribes sur les mêmes points qui ont déjà provoqué des séparations à foison.

9. C'est pourquoi, à nos yeux, la foire des lieux communs pourrait éviter l'absurde atomisation dans laquelle elle se trouve et se rassembler raisonnablement en grands ensembles par catégories homogènes (parlementaristes, antiparlementaristes, pacifistes, écologistes, primitivistes, etc.), alors que nous trouvons au contraire ces thèmes particuliers distribués au hasard parmi les ensembles avec des effets désastreux. Nous pensons, par exemple, aux contorsions auxquelles doit se livrer celui qui se déclare communiste et en même temps pacifiste et parlementariste.

10. Cependant, chaque travail qui se réfère au communisme devrait partir des fécondes prémisses qualitatives propres à l'immense patrimoine théorique dont nous héritons. Comment un tel appauvrissement général a-t-il pu exister? Comment une telle Babel théorique a-t-elle été possible ? Le plus beau est que chacun sait parfaitement quelle situation paradoxale il vit. Dans chaque discussion, correspondance, réunion avec des éléments qui proviennent de ce milieu, on en revient toujours au point sensible et par conséquent on glisse toujours, inévitablement, sur la nature des groupuscules et des mini-partis, sur leurs «positions», sur leur autoréférencement, sur l'impossibilité de communiquer entre eux et sur l'absence totale de liaison, non pas avec les dites masses prolétariennes, mais avec la réalité faite de personnes auxquelles ne parvient aucun message intéressant sur le communisme, aucun exemple, aucun stimulant qui aide à se rapprocher de lui.

11. Alors que le communisme - qui pour nous est à l'œuvre quotidiennement dans la préparation des conditions du futur - est une donnée véritable, il semble que l'exigence de se faire les porteurs de cette réalité ne soit pas ressentie. En ce qui nous concerne, nous nous sommes mis en tête d'imprégner notre travail de cette exigence. Adhérents d'une tradition à laquelle ne correspondent plus les écartèlements évoqués plus haut, nous voulons adhérer au communisme comme mouvement réel qui abolit l'état de choses actuel (comme un Abc d'origine).

12. Aujourd'hui, le mot lui-même est écrasé par l'histoire, en même temps que celui de révolution et de parti: tout le monde l'utilise et en abuse pour les motifs les plus extravagants. C'est pour cela que nous travaillons aussi à récupérer son langage d'origine, marqué par la dégénérescence de la Troisième Internationale mais que l'on peut ramener à la puissance scientifique de Marx. Nous savons que notre attitude n'est pas vraiment partagée. Mais nous faisons remarquer à quel point il est vraiment extraordinaire que la simple expérience empirique n'enseigne strictement rien, n'a aucun effet pratique au bout du compte, après des décennies, nul regroupement «communiste» n'a atteint de manière significative, d'un point de vue pratique, des résultats majeurs en relation au changement social ni même une simple croissance numérique qui ne soit éphémère.

III. - Dégringolade historique et oubli de l'organicité

13. Nous n'insisterons pas sur le présupposé désormais acquis que pour le moment un travail en harmonie avec la véritable signification du communisme ne peut pas avoir de nombreux adeptes. Cela ne nous fait pas plaisir, mais on ne peut rien y faire. Qui tente de «faire quelque chose» n'obtient pas de résultats différents de qui au contraire se garde bien de «se bouger le cul» à la manière des activistes, comme disait un vieux camarade. Du reste, ayant vécu la bataille des années vingt contre les progrès du soi-disant communisme national-bolchevique, il se souvenait de la dramatique dégringolade historique, de l'effondrement, de la débâcle, des mots qu'il avait traduit de manière onomatopéique par «égrenage». Et même, une débine de camarades durs comme la pierre face à l'avancée ennemie. Une révolution qui perdait des «quanta d'énergie», des grains individuels qui finirent par se transformer en «masse».

14. Nous chercherons au contraire à focaliser les points qui selon nous, et selon une «tradition» que nous tenons à transmettre, sont les bases d'un travail correct et en conséquence d'un bon résultat futur. Nous nous fonderons sur un présupposé - simple et vital - particulier à notre courant la conception du travail de parti comme reproduction du cycle biologique de la nature, avec les relations complexes entre ses éléments (feedback), qui font du vivant un ensemble dynamique ultra-complexe dont on ne peut jamais isoler arbitrairement des parties à traiter pour elles-mêmes.

15. Cette conception biocybernétique est tout à fait inconnue même de ceux qui disent poursuivre le travail de notre courant historique. Pourtant, elle est présente dans les textes canoniques avec la clarté du cristal depuis 1921, et elle émerge chaque fois qu'il s'agit de traiter du concept organique du parti. Le développement de la société humaine a donné lieu à des phénomènes comparables au fonctionnement biologique du cerveau (réseaux, flux, informations), comme prévu par Marx dans les Grundrisse, avant que les sciences bourgeoises ne le récupèrent. La révolution communiste ne pourra avoir à sa tête un parti avec des caractéristiques en deçà de celles du general intellect marxien. D'autre part, ces caractéristiques ne peuvent être «créées» en laboratoire à partir de quelques dizaines de bonnes volontés qui décident de construire un parti. Le besoin radical d'une nouvelle communauté humaine doit émerger des profondeurs de la société actuelle, et c'est autour de cette certitude, exactement comme toutes les révolutions, que s'articule notre travail, à partir de la recherche sur les modifications profondes de tous les aspects sociaux. Parmi eux, par exemple, l'énorme et toujours plus évidente diffusion de formes communes, plus ou moins alternatives, plus ou moins virtuelles (hackers, musiciens et écrivains collectifs, etc.), qui dans les pays industrialisés impliquent des dizaines de millions de personnes.

16. Le travail de parti est une chose tellement sérieuse qu'on ne doit jamais cesser d'avoir les pieds sur terre. Les phrases ronflantes sur le «nous sommes le parti», font désormais rigoler les poules, particulièrement quand on singe les organismes du passé avec leurs mythes, leurs statuts, leurs parlements, leurs élections, leurs hiérarchies, leurs liturgies d'entrée et de sortie, et même leurs magistrats et leur police (collèges de prud'hommes et services d'ordres), etc., etc. La drastique proclamation de Marx de 1848 vaut aujourd'hui plus que jamais afin que puisse vaincre le parti de l'insurrection, il est bon que soit vaincu celui de la démocratie avec ses oripeaux interclassistes. Aujourd'hui, afin que s'affirme le parti organique en mesure de guider la révolution communiste vers son issue définitive, le grand parti omniprésent qui se fait le porteur des instances démocratiques, bourgeoises ou, quoi qu'il en soit, qui colle à cette société, manifestement ou de manière occulte, doit être abattu.

17. Ouvrons donc le chemin au travail effectué en cohérence avec le parti organique, travail ancien et nullement «créatif», comme nous l'enseignent toutes les révolutions, en exprimant leur parti en tant que communauté anti-forme. La dégringolade n'a pas été une plaisanterie, et il y a encore à récupérer une grande partie du patrimoine historique, de ce qui a déjà été dit, fait et oublié, tout en allant de l'avant.

IV. - Soldats du cerveau social

18. Dans cette revue, nous ne réussissons à rendre compte que d'une faible partie du travail effectué, qui se fonde toujours sur les classiques et fréquentes réunions entre militants et avec quiconque veut se rapprocher de nous, sur la sauvegarde du patrimoine historique et sur la publication et la diffusion des résultats atteints. Évidemment, l'avènement d'Internet a signifié un bond qualitatif dans la formation d'une communauté d'éléments réunis en réseau, lesquels, grâce à ces nouveaux moyens, peuvent développer une véritable activité collective indépendamment de l'espace et du temps. Qui, aujourd'hui encore, snobe cet aspect du cerveau social, ne fait simplement que démontrer qu'il s'arrête à la surface des choses, qu'il ne connaît rien non plus à ce qu'a dit Marx à propos du cerveau social et des réseaux de communication de son temps, qu'il est un politicard rétro candidat au mépris, plus encore, même, que les talibans. Le travail collectif en réseau, qui est désormais sorti de l'artisanat et s'expérimente à tous les niveaux, donne un coup de fouet qualitatif à la force productive sociale qui pour Marx est l'indicateur majeur de l'évolution des bases matérielles pour le saut dans une autre société. Pour nous, c'est une preuve de la validité du paradigme biologique sur le fonctionnement de la société humaine, dans lequel l'individu se trouve finalement à sa juste place de neurone du cerveau global. Les bourgeois travaillent sur cette question et les grands révolutionnaires ne savent même pas que le phénomène existe.

19. Nous savons qu'il n'est pas simple de cheminer tout seul dans le sens contraire des puissantes forces de la conservation sociale, mais ce n'est pas une nouveauté dans Leçons de la contre-révolution il est dit avec beaucoup de pertinence

«Le marxisme n'est pas la doctrine des révolutions, mais celle des contre-révolutions; tout le monde sait se diriger quand la victoire est là, mais peu nombreux sont ceux qui savent le faire quand la défaite arrive, se complique et persiste.»

20. Aller contre ce qui existe est fatigant et pénible. Dans les époques d'incertitude comme la nôtre, ce sont les pulsions, les caractères et les psychologies individuels qui prédominent, et la dispersion chaotique des forces est semblable à celle des molécules d'un gaz surchauffé qui giclent dans toutes les directions. Aucune trace de «chaos ordonné», ou polarisé, par conséquent anti-individualiste, semblable au courant d'un fleuve impétueux, typique de la démarche révolutionnaire d'hommes poussés à la lutte extrême. D'autre part, les modes de la «participation» se nuancent, pour cela il serait absurde d'évaluer les militants de la révolution souterraine d'aujourd'hui (la vieille taupe) selon les critères qui furent utilisés dans les révolutions passées ou qui seront utilisés au moment de la bifurcation révolutionnaire future.

21. À l'aide de nombreux exemples, il est montré dans cette revue comment des savants qui ont affronté les mêmes thèmes basiques de la théorie révolutionnaire, c'est-à-dire l'évolution, la formation de tensions qui vont vers des catastrophes soudaines, le nouvel ordre émergeant du chaos où se trouve être tombé l'ancien, peuvent se trouver, en l'ignorant, aux cotés d'un travail objectivement communiste. De même que la révolution ne recrute pas dans des cercles fermés, elle se libère également des ex-militants désormais dédiés à alimenter les tout à fait personnelles lubies qui leur passent par la tête, et les remplace par des jeunes fatigués des lieux communs qu'on entend partout sur le communisme, etc.

22. Tout cela représente une relève normale et positive dans les limites de l'enrôlement général obligatoire (déterminé) réalisé par l'armée de la révolution de par le monde. Nous sommes (nous, le scientifique américain ou chinois, le militant qui va et vient) les produits du milieu environnant et non le contraire. Nous le répétons de la façon la plus affirmative c'est commettre une erreur de penser qu'un groupuscule quelconque puisse déterminer le coup de pouce qui rapproche un individu de la militance révolutionnaire. Même contradictoires, les déterminations sont nombreuses qui contribuent à former le milieu dont nous faisons partie; seul celui qui est porté à se trouver en syntonie avec le grand «arc historique», le «fil rouge», etc. et qui parvient à résister, pourra acquérir le résultat d'une réelle capacité collective à modifier le milieu lui-même.

V. — Ce que nous sommes et ce que nous voulons

23. Avec l'avènement d'Internet, où l'on se parle à distance sans se connaître, sur tous les sites il y a le fatidique Qui nous sommes et ce que nous voulons, équivalent électronique des opuscules que les organismes politiques plus ou moins inconnus faisaient circuler en espérant que l'oubli dans lequel ils se trouvaient soit un peu atténué par un supplément d'information. Au cœur du chaos du Grand Réseau, il vient tout de suite à l'esprit de se présenter, tout le monde le fait, nous y compris. Mais à une époque où l'information brûle les cerveaux par overdose à qui s'y livre sans précautions, l'effet pratique est plus volatile que celui des antiques opuscules. À cause des caractéristiques du réseau, avec ses 500 milliards de pages, l'appel est fatalement destiné à demeurer sans écho. Il ne pourra être reçu que par ceux qui iront le chercher en sachant déjà ce qu'ils recherchent. L' «explication» de l'agitation de quelques molécules dans l'univers en fermentation, qu'elle soit écrite ou proclamée, ne peut solliciter que celui qui se trouve déjà en mouvement sur le même terrain; cette constatation est fondamentale pour nous, c'est une condamnation théorique sans appel de l'activisme groupusculaire. Il n'est pas question de renoncer au prosélytisme, mais celui-ci demeure un faux espoir tant que l'on fait abstraction du fait que personne ne peut échapper aux déterminations citées plus haut et que l'exemple du réseau Internet vaut évidemment pour la société dont il est un fidèle reflet.

24. Ici aussi nous sommes face au fonctionnement biocybernétique de la société on lance des signaux sans savoir s'ils seront reçus et ils le sont seulement si le récepteur est syntonisé dans ce but. En fait, personne ne renonce à envoyer des signaux, même quand ils sont manifestement inutiles, ainsi chacun travaille comme un malade, bâtit des sites, expédie des brochures, organise des réunions, dialogue, débat et se confronte aux autres, en polémiquant, en s'unissant et en se séparant, en somme en participant, volontairement ou non, d'une grande confusion, dépensant des tonnes d'énergie comme dans une jungle primordiale. La volonté de chaque minuscule molécule qui constitue cette mer d'information et d'activité est évidemment sans influence, toutefois c'est seulement de ce bouillon de culture que peut surgir quelque chose d'intéressant pour la mutation de l'ADN de l'espèce politique «communiste» en évolution darwinienne tourmentée.

25. Se mettre à la recherche des déterminations qui feront jaillir de ce magma à peine ébauché un mutant adapté à la révolution serait une tâche irréalisable, mais il est certainement possible de relever quelques indices des capacités nécessaires. Dans les situations à la limite du changement, seul sera sensible aux métamorphoses qui aura transmis au phylum de son code génétique les éléments adaptés à la situation nouvelle, qui aura démontré sa capacité à conserver un programme qui contient en lui la clef pour mener à bien les tâches futures en relation avec l'environnement en mutation. Même dans ce cas nous sommes face à une dynamique dérivée de la sphère biologique et applicable à la sphère sociale. Dans chaque être vivant, ce ne sont pas l'organisation en soi, la disposition des organes et des cellules le composant qui représentent l'évolution mais bien plutôt la manière dont l'ensemble réagit face au changement. Ce qui signifie, une fois traduit dans le champ social, qu'il faut connaître la ligne du futur; voilà à quoi notre propre travail et l'organisme dans lequel il s'accomplit doivent servir.

26. Alors, pour expliquer ce que nous somme et ce que nous voulons, il ne suffit pas d'étaler les lettres de créance de nos ancêtres et leur programme. En lui-même, le code génétique est un programme conservateur pour maintenir dans leur invariance les caractères d'un organisme donné. C'est aussi le moyen sans lequel toutes transformations seraient impossibles, et ce paradoxe ne peut être rompu que par une dynamique orientée vers un résultat. Il n'y a rien d'un finalisme idéaliste dans tout ça on sait que la matière a des capacités d'auto-organisation et l'espèce humaine plus encore. Pour paraphraser un vieux texte, disons que le travail des communistes est de conserver le programme invariant adapté au changement. Comment? Avec une activité pratique (dans le sens de réaliste) sur tous les fronts autorisés par le véritable rapport de force, avec méthode et esprit de parti même lorsqu'il est évident comme aujourd'hui que l'on est dans une situation où l'organe - communauté - parti ne peut assumer une forme tangible.

27. La société humaine ne se limite pas à reproduire l'organisation du vivant elle y ajoute la capacité à projeter son propre futur. L'industrie, qui est la seule structure organisée rationnellement dans la société bourgeoise, nous enseigne que, lorsque l'on s'organise, on doit le faire de la façon la plus cohérente possible en fonction de la fin poursuivie. Même les anciens savaient bien que c'est la fin qui détermine les moyens mis en œuvre pour atteindre celle-ci. De façon cohérente, notre courant, en 1921, affirma que le parti révolutionnaire ne pouvait être modelé qu'à partir de ses tâches futures. La structure de chaque révolution consiste en un ensemble insécable de processus «naturels» et de renversement «artificiel» de la praxis, et le parti - organe de la classe révolutionnaire est le moyen pour un tel renversement.

28. Le vaste milieu qui se réfère d'une façon ou d'une autre au communisme est donc le produit d'un mouvement réel, lequel, en tant qu'organisme biologique, affiche un ADN qui est en même temps conservateur et en mutation révolutionnaire. Un mouvement qui rend explicite sa nature afin que dans les chaînes moléculaires sociales se forment les accroches nécessaires à la formation de nouvelles molécules prêtes à passer de la répétition conservatrice de la forme à la morphogenèse, c'est-à-dire au processus qui amène une forme nouvelle. Telle est la conception du parti cernée par notre courant depuis la fin des années vingt en opposition à la Troisième Internationale. Et ce n'est en aucune manière une conception évolutionniste - gradualiste, elle est au contraire catastrophiste dans la mesure où l'accumulation continue des contradictions sociales explose dans une discontinuité qui coïncide avec le changement social. Le passage de la conservation des caractères sociaux dans leur subversion à la faveur d'une nouvelle forme est ce que les mathématiciens appellent la singularité et que nous nommons insurrection. La Troisième Internationale s'apprêtait à devenir uniquement conservatrice, et à la fin, précisément, elle conserva au lieu de détruire. C'est pour cela qu'elle devait susciter une critique à son encontre, une critique qui puisse survivre tout au long de l'axe phylogénétique de la révolution.

VI. - Nous ne sommes pas un «groupe», nous sommes un travail

29. Ça fait plus de vingt ans que nous disons à nos interlocuteurs que nous n'avons en aucune manière fondé ni un groupuscule gauchiste ni un mini parti «révolutionnaire» mais que nous nous sommes dédiés à un travail de sauvegarde et de diffusion du patrimoine théorique d'un courant qui a eu la possibilité, le courage et l'occasion de prévenir le désastre de l'Internationale et d'en analyser les causes objectives et subjectives. Évidemment, cela signifie que nous adhérons à un parti matériellement opérant, le parti historique de la révolution, et qu'une telle adhésion implique une présence active, comme au reste cela a toujours été le cas, contrairement aux légendes diffusées par le stalinisme sur le soi-disant attentisme de la Gauche Communiste «italienne».

30. Nous savons bien que la continuité physique est interrompue, que les camarades sont morts ou ont lâché prise, que la Gauche Communiste «italienne» s'est éteinte, ainsi que se sont éteintes les trois Internationales. Que l'on ne puisse pas se passer du parti révolutionnaire est une conviction partagée, et la question a une portée historique, mais les réponses à une telle exigence sont dissonantes. Quoi qu'il en soit il devrait être clair que la révolution a donné le maximum pour chacune de leurs époques et que par rapport à celles-ci il faut envisager un saut qualitatif. Mais l'artisan de ce saut ne pourra qu'être une force sociale supra personnelle, non quelques communistes de bonne volonté. Une partie plus ou moins importante de l'humanité avec le prolétariat à sa tête, entrera en rébellion contre l'état de chose actuel et sera contrainte de le faire sauter. Le parti historique est l'histoire réelle de cette explosion annoncée, faite de combats, de victoires, de confusions, de défaites et de bilans.

31. La continuité physique avec les groupes humains qui tentèrent le saut dans les années qui ont suivi la première Guerre Mondiale s'est interrompue et toute tentative de recréer des ersatz de ces organismes est destinée à échouer. Pour cette raison, nous nous avons refusé les étiquettes artificieuses et plus encore les faux modèles organisationnels. Nous avons dit de bonne heure, pour éviter tout équivoque nous ne sommes pas un groupe mais un travail. C'était au fond une façon synthétique de dire «ce que nous sommes et ce que nous voulons». Quand, au temps des tentatives échouées pour reprendre le travail interrompu par la énième extinction des formes organisées précédentes, nous cherchions à faire comprendre que, tout en n'étant pas un parti, il était possible de travailler avec un esprit et une méthode de parti, nous ne fûmes pas compris. Certains voulaient «reconstruire» une organisation qui remplace celle qui s'était dissoute nous étions nombreux - disaient-ils - nous étions déterminés, nous avions l'expérience et la préparation collective, que voulait-on de plus? Mais la réalité était bien différente; et c'est alors que nous vint spontanément cet aphorisme qui nous parut tranchant comme un haïku zen.

32. Il est évident que nous sommes aussi un «groupe» et, si nous mettions sur la revue Organe du Parti Un tel, nous serions aussi un parti comme il y en a tant. Mais nous n'avons aucune intention de nous conformer à ce qui existe. Nous voulons plutôt seconder le mouvement réel qui l'abolit. Notre grand courant historique (pas seulement la Gauche, comme cela est justement précisé dans quelques passages de ses Thèses) nous a laissé une description lapidaire du processus révolutionnaire ce n'est pas nous qui choisissons la révolution, c'est la révolution qui nous choisit. Nous sommes ses instruments, ses outils, sa main-d'œuvre. On nous a accusés vous transformez la révolution en une sorte de divinité agent de son propre arbitre. Sur Internet, nous avons même trouvé une analogie ironique entre «notre» centralisme organique et les conceptions de Saint Paul. Nous acceptons la provocation Paul tira de l'une des multiples sectes hébraïques ultralocalistes, réservées aux circoncis et destinées à disparaître, le principe ordonnateur d'une communauté internationale ouverte également aux non-hébreux. En conséquence, celle-ci parlait de nombreuses langues, avait des coutumes diverses, avait une large propension aux querelles locales tout en étant immergée dans le monde globalisé de l'Empire romain. C'est pourquoi elle avait besoin, pour s'affirmer, d'un programme universel et d'un objectif sans compromis la conquête totale de la société de l'époque. Dans la Première Lettre aux Corinthiens (XII.12), Paul affirme que la communauté chrétienne est comme un corps avec de nombreux organes et que chaque partie participe du tout en parlant la même langue même si un interprète est nécessaire. Personne ne peut dire être seulement soi-même ni ne peut dire être autre que soi-même. Que personne ne dise «Moi je suis de Paul», le paulisme n'était pas admis. Seul un «isme» était possible celui du mouvement général qui prenait le nom de christòs, qui n'était pas le nom d'un individu, mais un attribut «l'oint de Dieu». Vu avec des yeux bourgeois, Paul est un réactionnaire, mais il n'appartenait pas à une bourgeoisie, il appartenait à une précédente révolution. Qu'on lise la maxime évangélique «donnez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu» au travers de la précision paulienne «nous sommes dans le monde mais non du monde» (reprise sous cette forme 300 années plus tard), et voilà que l'opportunisme apparent disparaît et que se révèle l'émergence d'une nouvelle société en mesure de générer dans la vieille la véritable communauté-parti comme avant-garde. Après deux mille ans, nous pouvons tranquillement reconnaître non seulement l'analogie, mais aussi la fonction du déterminisme qui opère et qui dispose le matériel utilisable selon un ordre nouveau, y compris les instruments humains; des instruments qui ont été forgés par une force plus grande que leur volonté singulière, plus grande même que celle des prophètes et des saints, simples intermédiaires pour prophéties et miracles. Qu'une telle force ait pris la forme d'un dieu anthropomorphe, est et sera un objet de réflexion, mais l'image d'un Destin qui modèle le milieu et l'homme qui l'habite en niant la liberté de l'individu est commune à de nombreuses mythologies antiques. C'est seulement au Moyen Âge qu'apparaîtront l'individu et le libre arbitre comme un pas ultérieur vers la formation de l'homme-industrie marxien.

33. Comme l'écrit Engels à propos de l'humanisation de l'anthropoïde primitif, le travail, la main, le cerveau et le langage se forment dans un même mouvement, même si naturellement le travail vient en premier et le langage en dernier (comme les paléoanthropologues modernes l'ont confirmé). Nous ne pouvons pas renverser cette logique. Le corps - parti se forme en même temps que ses organes et ses membres, mais en premier vient le travail puis la capacité de renverser la praxis en fonction d'un programme, même si ce n'est que pour discipliner l'action et optimiser l'ordre interne, pour avoir une structure de lutte, pour exécuter un projet, etc. En somme, le programme ne s'achète pas au supermarché comme un vulgaire outil de bricolage.

34. Cela dit, il devrait être clair que la révolution «fait» tout en une seule fois, elle fait naître et mourir groupuscules et mini partis, oblige au travail ou à son interruption, conquiert des militants et les rejette dans la foulée (comme dans le processus appelé apoptosie, la mort auto programmée de cellules qui rend possible la poursuite de la vie). En conclusion la révolution travaille elle-même en permanence. Et les communistes ont peu à inventer, ils doivent prendre en charge un travail que d'autres faisaient déjà, puis on verra s'ils seront à même de le porter à son terme. Souvenons-nous encore des Thèses: les communistes attendent du quantitatif des résultats qualitatifs qu'ils sauront atteindre avec le travail bien fait. Le contraire serait absurde, comme mettre la charrue avant les bœufs. Absurde, mais proposé par ceux qui, il y a une vingtaine d'années, abandonnèrent le travail commun parce qu'ils prétendaient qu'il fallait qu'on «homogénéise» d'abord les différentes «positions». Nous répondîmes que nous ne travaillions pas à la Plasmon et que pour nous une sélection serait advenue (était en train d'advenir) en faisant le travail, précisément. Toujours selon l'Abc ce n'est pas le bon parti qui fait la bonne tactique, c'est au contraire la bonne tactique qui fait le bon parti. Nous en sommes de nouveau au rapport travail/main d'Engels.

35. Et étant donné que nous voulons scandaliser ces freaks de la politique qui font semblant d'êtres alternatifs mais sont les pires copies d'Emilio Fede, nous dirons une chose qu'on ne doit pas confondre avec le pot-pourri new age: l'Orient sait depuis des millénaires que seul le travail correct (la Voie correcte) est de nature à nous offrir le résultat, non le fait de le vouloir a priori sans savoir où l'on doit passer pour y parvenir.

VII. - Grossièretés pseudo - partitistes de Gramsci

36. Nous sommes donc pour le parti, mais nous voulons éviter avec fermeté de tomber dans les erreurs du passé. Le fait est que notre critique des tragiques erreurs qui ont constellé la faillite de la révolution dans l'Europe des années vingt est identique à celle que nous pouvons adresser à une large majorité des membres des groupuscules et des mini partis d'aujourd'hui desquels de bien connues déterminations nous ont séparés.

37. Nous citerons Gramsci qui résume bien la grossièreté partitiste de quelques-uns de ses disciples actuels, conscients ou non. Mis sur un piédestal par certains, critiqué mais imité par d'autres, Gramsci fut un représentant de l'idéologie bourgeoise antiscientifique crocienne qui s'était infiltré dans le Parti Communiste d'Italie à la suite de la vague d'enthousiasme révolutionnaire amena à sa formation. En 1921, un parti organique était né, qui n'avait pas besoin de «fonctionnaires» et de secrétaires, de chefs et de hiérarchie, puisque chacun connaissait de manière organique, sa propre tâche. Depuis les rédacteurs des innombrables périodiques jusqu'au petit centre exécutif (formé seulement de 5 militants) tous «faisaient un travail» sans avoir besoin de diriger grand chose. Il s'agissait néanmoins d'un parti solidement centralisé et discipliné, qui sut s'armer contre les bandes fascistes et se donner une organisation militaire capable d'affronter les exigences de la clandestinité. En contraste avec l'organicité de la Gauche, l'infime minorité ordinoviste s'aligna sur l'Internationale dégénérée et, sous la pression de celle-ci, prit la direction du parti. Gramsci, qui était le leader des centristes, écrivait en 1925

«La commission qui aurait dû discuter spécialement avec le camarade Bordiga a, en son absence, fixé la ligne que le parti doit suivre pour résoudre la question des tendances et des fractions possibles qui peuvent naître d'elles, ceci pour faire triompher la conception bolchevique dans notre parti. Si nous examinions la situation générale de notre parti, à la lumière des cinq qualités fondamentales que le camarade Lénine posait comme conditions nécessaires à l'efficience du parti révolutionnaire du prolétariat au cours de la période de la préparation révolutionnaire, c'est-à-dire

1) chaque communiste doit être marxiste;

2) chaque communiste doit être en première ligne dans les luttes prolétariennes;

3) chaque communiste doit avoir en horreur les postures révolutionnaires et les phrases qui ne sont écarlates qu'en surface, c'est-à-dire doit être non seulement un révolutionnaire mais encore un politique réaliste;

4) chaque communiste doit en permanence se sentir subordonné à la volonté de son parti et doit tout juger du point de vue de son parti, c'est-à-dire doit être sectaire dans le meilleur sens du mot;

5) chaque communiste doit être internationaliste.

Si nous examinons la situation de notre parti à la lumière de ces cinq points, nous observons que si nous pouvons affirmer pour notre parti que la seconde qualité forme un de ses traits caractéristiques, en revanche on ne peut l'affirmer pour les quatre autres. Il manque dans notre parti une connaissance profonde de la doctrine du marxisme et en conséquence également du léninisme.»

38. Il est difficile de concentrer en si peu de lignes un tel tas d'idioties. Nous ne sommes pas allés voir si Lénine a réellement dit ou écrit de telles bêtises ou s'il s'agit d'une libre interprétation. À part le fait qu'il faudrait expliquer de façon marxiste ce que signifie le verbe «devoir» dans le contexte du matérialisme dialectique, 1) dire qu'un communiste doit être marxiste est une tautologie ridicule; 2) pour que l'on puisse se porter à la tête des luttes prolétariennes encore faudrait-il qu'elles existent 3) nous savons que le «réalisme» pour les opportunistes à la Gramsci signifie compromis avec l'ennemi, comme sur l'Aventin; 4) cela est une exaltation du parti - église et non du parti organique; 5) une autre idiotie tautologique, au reste non respectée par les Gramsci et Staline ainsi que par tous les «bolchevisateurs» homogénéisateurs des partis national communistes. Corollaire après des années de luttes anticulturalistes passionnées du courant communiste animateur du nouveau parti, Gramsci avait compris que le bon parti serait celui dont les membres seraient bien acculturés par le marxisme, dans ce cas dans l'acception vulgaro-bolchevico-stalinienne du terme!

39. Qu'est-il changé dans les notions de parti dominantes aujourd'hui et que beaucoup opposent à la conception organique? Rien. Les tristes tribulations dans lesquelles sont impliqués groupuscules et menus partis en continuelle formation et dissolution ont toujours les mêmes motivations de fond. Et, travaillant afin de ne pas connaître une telle fin, de toute façon, nous sommes absolument conscients de ne pas être spectateurs d'un processus mais d'en faire partie, comme en fait partie ce petit morceau d'humanité, fait quoi qu'il en soit de milliers d'hommes, qui de par son propre travail de recherche et de divulgation scientifique n'est pas du tout en train de penser au marxisme, mais saisit un changement en cours, en identifie les tendances, découvre les lois de la révolution dans la nature, trace des chemins, agit même peut-être comme il le sait et le peut, sans soupçonner même de façon lointaine qu'il est spontanément sur le terrain du communisme, capitulant bruyamment devant cette théorie sociale.

VIII. - Relier la partie au tout

40. Qui nous lit comprend bien qu'il n'est pas possible aujourd'hui d'agir précisément avec ampleur pour une fin immédiate qui soit à la hauteur du grandiose déploiement final de la révolution communiste. Mais cela n'entraîne pas que l'on puisse se sentir étranger au processus qui mènera à la société future. Il n'est pas difficile alors de se donner des tâches immédiates qui soient en même temps cohérentes avec la fin et avec les véritables rapports de force existant entre les classes. Nous sommes les produits d'un milieu «communiste» qui nous a montré l'abandon de plus en plus marqué des prémisses révolutionnaires. Nombre de prétendus disciples de nos prédécesseurs ont fini par en voler le nom, sans plus aucun rapport avec les origines. Dans certains cas, en s'abaissant jusqu'au terrain de la collaboration pure et simple au maintien de cette société. Et nous ne parlons pas de la cohorte de ceux qui, enfin, ont abandonné aussi bien les noms, la terminologie que les dernières fanfreluches qui les liaient au prolétariat et à son parti historique.

41. Pour notre part, les prémisses une fois données, il nous a paru naturel, et inévitable aussi, de tenter de récupérer la théorie et la méthode de travail. Nous parlons d'une continuité de travail, par conséquent de la compréhension de ce que la Gauche communiste a représenté dans l'histoire et comme legs pour les nouvelles générations. Dans ses Thèses de Naples, ce courant a écrit qu'en s'organisant dans l'après-guerre comme un nouveau mouvement, il n'aurait pas fallu se référer seulement à l'expérience italienne de laquelle il était né. La proposition pourrait tout aussi bien être incompréhensible dans la mesure où, à la fin des années vingt, il avait dénoncé tout front commun avec les critiques tardifs du stalinisme. À qui d'autres pouvait-il se référer, alors qu'à cette époque la contre-révolution avait frappé à fond tous les autres mouvements, en mettant en relief, avec l'antifascisme et l'antistalinisme, les pires côtés du conservatisme démocratique? Pour nous, il est clair qu'avec cette affirmation répétée dans plus d'un texte, on a voulu signifier simplement que la Gauche communiste dite italienne n'est pas n'était autre chose qu'une expression du parti historique, auquel avaient appartenu également des organismes et des individus qui, dans certaines situations, avaient parcouru en commun des bouts de chemin. De cette façon, elle réfutait avec toute la cohérence possible le fait d'être séparée du tout, elle niait que le corps de la révolution puisse être démembré et que la partie amputée et abâtardie soit désignée par un mot dérivé d'un patronyme à la énième désinence en «isme».

42. Cela est le fondement sur lequel notre travail s'est développé; en fait nous ne nous considérons pas comme une continuation physique de ce courant mais nous nous identifions avec le tout qu'il «revendiquait». Il est exact que nous sommes structurés autour de la nécessité de poursuivre son travail et celui de nos camarades aujourd'hui disparus non pour le singer, mais au contraire afin de l'amener à une plus grande exhaustivité dans le cadre du cours historique général. Même si l'entreprise affole évidemment les pouls, nous croyons que rien d'autre ne peut être fait (on pourrait faire mieux, ça oui), et que tout autre parcours est destiné à être purement conservateur.

43. Quelle conséquence tirer d'un tel contexte, lui-même inscrit dans un cadre où se meuvent zombis staliniens, résidus trotskistes, ectoplasmes bordiguistes, etc., nombreux au point d'en perdre le compte? Quel est le support matériel, le collant apte à souder les «outils vivants» du parti historique en «nœuds» et «réseaux» susceptibles de rompre l'isolement social?

IX. - L'homme reconquis à la communauté humaine

44. Au cours de nos dernières rencontres, en marge des commentaires sur les travaux en cours et semi-élaborés, sont apparues des observations utiles à la compréhension du problème énorme que devra aborder quiconque est confronté au futur de la révolution en acte (du féodalisme au communisme à travers le capitalisme, dans la série des n plus un relatifs) le problème du futur parti, conçu désormais comme une communauté nouvelle anticipatrice de la société future plutôt que comme organisation parmi les autres de cette société.

45. Le capital, anonyme, impersonnel, global, est en train de d'éliminer les vieilles catégories de nation et même de bourgeoisie nationale. Si le moteur de la politi-guerre américaine n'est plus à Washington mais dans le besoin désespéré du Capital d'utiliser tous les moyens pour se sauver, il va de soi que l'ouvrier devient ouvrier «global» qui produit une seule marchandise comme somme de toutes les marchandises (voir le chapitre VI inédit du Capital). C'est le capital lui-même qui rendra toujours plus nécessaire de considérer chaque question non pas tant du point de vue de l'économie et de la politique, y compris «révolutionnaire», mais immédiatement du point de vue de la communauté humaine future.

46. Au fond, c'est ce qui est affirmé, en d'autres termes, dans Tracciato d'impostazione [Schéma d'Orientation] (Gauche communiste, 1946) qu'il n'y a plus de place au ré-formisme et au con-formisme mais seulement à l'anti-formisme. C'est ce qui est affirmé dans Origine et fonction de la forme parti où, à l'organisation, se superpose la communauté humaine comme préfiguration du futur. C'est ce qui est affirmé dans des milliers de passages, où est rappelé le caractère organique de notre conception organisationnelle. Mais laissons le dire directement à Marx

«Mais toutes les émeutes, sans exception, n'éclatent-elles pas dans l'isolement funeste des hommes de l'être collectif? Toute émeute ne présuppose-t-elle pas nécessairement cet isolement? La Révolution de 1789 aurait-elle pu avoir lieu sans cet isolement funeste des bourgeois français de l'être collectif? Elle était précisément destinée à supprimer cet isolement.

«Mais l'être collectif dont le travailleur est isolé est un être collectif d'une tout autre réalité, d'une tout autre ampleur que l'être politique. L'être collectif dont le sépare son propre travail, est la vie même, la vie physique et intellectuelle, les mœurs humaines, l'activité humaine, la jouissance humaine l'être humain. L'être humain est le véritable être collectif des hommes. De même que l'isolement funeste de cet être est incomparablement plus universel, plus insupportable, plus terrible, plus rempli de contradictions que le fait d'être isolé de l'être collectif politique; de même la suppression de cet isolement - et même une réaction partielle, un soulèvement contre cet isolement - a une ampleur beaucoup plus infinie, comme l'homme est plus infini que le citoyen et la vie humaine que la vie politique. L'émeute industrielle si partielle soit-elle, renferme en elle une âme universelle. L'émeute politique si universelle soit-elle, dissimule sous sa forme colossale un esprit étroit.»

47. C'est là un passage qui massacre à lui tout seul toutes les conceptions politicardes de l'organisation, comme il massacre toute théorie transcendante du prolétariat (voir les conceptions de l'ouvrier comme deus ex machina de la révolution, les visions de la classe universelle, les élucubrations sur les «multitudes» comme substituts à la classe, etc.). L'industrie (au sens large) étant la véritable essence de l'homme, c'est dans la réalité des faits et non dans la politique que se réalise l'antagonisme ultime. C'est la réalité des faits qui impose que la succession des organisations humaines ait sa conclusion en cohérence avec les prémisses si aux origines nous avons la communauté humaine sans propriété et sans État, et si nous sommes passés par la structuration des tribus, l'individualisation du peuple, la formation de l'État, la représentation dans une assemblée élective et à la fin à travers la naissance du parti politique tel que nous le connaissons, le «parti» de la révolution en cours ne pourra qu'être directement communauté humaine, anticipation de la communauté développée sans classes, sans propriété et sans État.

48. Afin de ne pas rendre «philosophique» une question d'action véritable, en ce qui nous concerne, nous disons que nous ne prétendons pas réaliser la communauté humaine au sein de la société déshumanisée, mais nous adhérons à cette communauté dans la configuration qui est déjà la sienne aujourd'hui. Nous ne voulons pas former d'impossibles phalanstères-partis, mais nous cherchons tout au moins à nous conformer à ce que la société capitaliste exprime déjà comme anticipant le mieux l'avenir. Par exemple, la «logique de l'ensemble» accouplée à la spécialisation, l'extrême division technique du travail accouplée à l'intégration opérée par le cerveau social, l'abstraction et le projet accouplé au caractère manuel du travail et à la fatigue physique. La vie active dans la communauté communiste spécifique, comme le disaient déjà les jeunes socialistes révolutionnaires de 1912, est indispensable pour ne pas se traîner derrière les catégories de la valeur (qui ne sont pas uniquement la valeur-argent) et pour réaliser un milieu férocement anticapitaliste en mesure de représenter un attracteur de militants réels et non métaphysiques.

49. Pour conclure, revenons à la citation de Marx, sur le modèle du travail à propos du Capital autonomisé (cf. n°18 de notre revue), qu'à l'égal du capitalisme industriel actuel financièrement sublimé, qui lie à soi toutes les entreprises comme centre de commande impersonnel, de même l'«insurrection industrielle» devra s'élever à une hauteur telle qu'elle embrasse la société entière et pas seulement l'usine. Telle est la condition pour que soit libérée l'âme universelle de la lutte de classes et que disparaisse la colossale escroquerie de la révolte politique avec son esprit étroit (celle des partis de cette société, des groupes philosophico-existentialistes, des mini partis pseudo-alternatifs et du «mouvement des mouvements», le plus colossal et le plus étroit de toute la politique existante). À l'insurrection industrielle effective ne peut que correspondre, du point de vue du «parti», la communauté humaine telle que nous en avons parlée, dans laquelle le militant ne voit pas un des innombrables «services» offert dans le capitalisme mais un lieu hyper uranique, «autre», dans lequel il peut se réfugier avec un orgueilleux sens d'appartenance.

Lectures conseillées

* Karl Marx, Lettre à Ruge, septembre 1843, Correspondances Marx-Engels, Éditions Sociales, vol. 1 page. 299. Également Marx, Textes 1842 - 1847, éd. Spartacus, Paris 1970.

* Karl Marx, Manuscrits de 1844, éd. Sociales, Paris 1962.

* PCInt., Lezioni delle controrivoluzioni, Bollettino int., 1951, maintenant dans les Quaderni di n+1.

* PCInt., Tesi di Napoli, dans Il programma comunista n°14 de 1965, maintenant dans In difesa della continuità del programma comunista, Quaderni di n+1.

* PCInt., Tracciato d'impostazione, in Prometeo n°1 de 1946, maintenant un volume des Quaderni di n+1.

* Origine et fonction de la forme parti, J. Camatte, dans Forme et Histoire, éd. Milan 2002. Précédemment, Invariance Série I, n° 1, janvier-mars 1968.

* Enne più uno, article de présentation dans le n° 0 de la revue, mai 2000 (En français sur le site internet).

* Antonio Gramsci, «La situazione interna del nostro partito e i compiti del prossimo congresso», Relation au CC du PCI, dans L'Unità du 3 juillet 1925.

Traduction et notes par Christian Charrier.