Structure économique et cours historique de la société capitaliste

RAPPORT À LA RÉUNION INTERFÉDÉRALE DE RAVENNE

Nos réunions de parti, qui ont lieu avec une périodicité qui n'est pas inférieure à trois par an, ont un caractère de précision organisationnelle, et de correspondance complète avec le programme préétabli, désormais constant et commun à toutes, à tel point qu'il n'est pas nécessaire de s'y arrêter comme sur une chose nouvelle et particulière, et encore moins d'adresser des félicitations à l'organisation du parti dans la localité choisie pour cette réunion.

Malgré tout, il est impossible de ne pas dire aux camarades qui n'étaient pas présents et aux lecteurs, qui ne seront pas informés dans les réunions internes qui suivront par les délégués à Ravenne, que les camarades de cette ville magnifique – qui a été rendue plus attrayante, entre autre, par le temps calme et le soleil brillant, malgré la saison défavorable – ont préparé les choses de manière tout simplement parfaite, de sorte que tout le déroulement de la réunion s'est effectué avec un ordre et une régularité tout à fait naturels et sans la moindre incertitude.

Comme toujours, il y a eu trois longues séances de presque trois heures, avec de courts intervalles de repos au milieu de chacune d'elles; elles ont eu lieu, la première, le samedi après-midi, et les deux autres, le dimanche.

Et comme à l'ordinaire, un premier compte rendu synthétique est donné dans ce numéro du journal qui suit immédiatement la réunion.

Toutefois, nous devons dire que la méthode de travail a eu d'intéressants développements, étant bien entendu qu'il s'agit du rapport d'une seule personne qui a travaillé, au cours des mois précédents, à l'élaboration du matériel et de l'exposé, et qu'il n'y a pas eu d’" interventions " libres d'orateurs improvisés, et les " différends " habituels que l'on ne peut mieux qualifier que d'opinions. Il est logique que, dans le développement du mouvement, ce rapporteur doive changer de réunion en réunion, et aucune règle n'exige qu'il soit toujours le même camarade, ou un automate toujours disponible du fait d'une certaine loi mécanique, comme cela pourrait sembler être à la mode pour les sots.

Mais la méthode requiert et comporte une participation collective de plus en plus large de la part de toutes les branches de l'organisation qui s'étoffe progressivement. D'ailleurs, des camarades de localités les plus diverses : Milan, Naples, Florence, Messine, Paris et Bruxelles, ont travaillé au recueil et à l'élaboration des matériaux relatifs au sujet traité, celui de l'économie du capitalisme occidental, que l'on a l'habitude d'appeler le monde anti-soviétique, aussi bien pour les données et les faits actuels que pour ceux qui ont trait à l'histoire, et pour les différents pays du monde, et ils ont aussi participé à l'envoi non seulement de matériel imprimé mais également de reproductions et de réélaborations de tableaux chiffrés et de diagrammes; et beaucoup d'autres encore ont non seulement signalé des sources ou suggéré des thèmes d'étude particuliers, mais aussi demandé des explications sur des points spécifiques, et cela avec un travail dense qui est antérieur de plusieurs mois à la réunion de Ravenne.

Le résultat de ce travail commun a été la production de nombreux tableaux et diagrammes qui ont été affichés avant la réunion sur les murs du local prévu. Ces diagrammes ont été examinés et discutés par tous les camarades, de sorte que, par groupes, des explications ont été données et des questions résolues par des camarades qui avaient collaboré par correspondance au travail de préparation, ou qui possédaient une plus grande compétence dans l'élaboration de données et de calculs numériques ainsi que dans celle des présentations graphiques.

Ces camarades-là ont reçu une appellation " technique ", exempte comme d'habitude de toute solennité : il n'est pas question en cela de copier les manies les plus modernes des jargons ordinaires, mais de suivre une vieille tradition du parti de Livourne, dont, au cours de ces mêmes jours, une foule pléthorique d'abrutis et d'étourdis célébrait dans toute l'Italie la très grande mystification de son 36° anniversaire ; escroquerie – si on voulait en faire un diagramme! – qui croît proportionnellement avec le carré des années qui passent. Cette appellation, puisqu'elle n'a rien à voir avec une conspiration ou même avec une dignité ou une hiérarchie quelconques, peut être révélée : c'est celle de " nègres " – et elle n'a pas de caractère racial, puisqu'elle ne recherche ni emphase ni raillerie. Les nègres ont travaillé comme d'habitude et avec un franc enthousiasme, ils ont été réunis dans la matinée du samedi, avant la réunion, et ils ont collaboré à l'accueil des participants et à leur orientation vers le thème du travail commun et ils ont trouvé le temps de se réunir et de travailler aussi dans les intervalles pour affiner et ordonner les chiffres et autres tableaux qu'il fallait exposer sur les murs.

Lors d’une prochaine réunion on compte prendre plus de temps pour un tel travail de coordination et notamment en demandant aux camarades d’arriver en avance sur le lieu de la réunion.

Ce mode de travail a été facilité par la nature de la salle préparée par les camarades du groupe et de la Fédération locale, qui, grâce à une activité si diligente et prévenante qu'ils ne se faisaient même pas remarquer, avaient fait en sorte que la salle adaptée et lumineuse destinée à la réunion demeure à la disposition exclusive du parti durant la période de cette réunion, tout en assurant la garde attentive des volumineux matériaux apportés à Ravenne. C'est dans cette même salle que les repas ont été pris par les participants qui, pour la partie logistique, ont trouvé, à des conditions très économiques, un traitement, égalitaire pour tout le monde, et excellent à tous égards pour ce qui concerne le gîte et le couvert.

Les participants ont exprimé aux camarades de Ravenne de vifs et cordiaux remerciements que nous renouvelons ici, étant donné leur satisfaction pour l'excellent travail effectué dans une homogénéité unanime qui est le caractère de notre organisation.

Les délégations qui ont assisté à la réunion sont les suivantes : Milan, 6 camarades; Turin, 1; Asti, 1; Florence, 5; Trévise, 1; Piovene, 1; Palmanova, 1; Rovigo, 1; Forli, 6; Bologne, 2; Cervia, 3; Cesenatico, 1; Parme, 1; Russi, 1; Rome, 1; Naples, 4; Torre Annunziata, 3; Bénévent, 1; Salerne, 1; Messine, 1; Cosenza, 1; France, 3. Absences justifiées des camarades de Ligurie, de Trieste, de Casale, des Pouilles, et de la province de Livourne.

Entre les séances, prit place une réunion d'organisation dans laquelle ont été fixées, à partir du rapport du Centre, les différentes modalités concernant les réunions ultérieures, l'administration, la diffusion de la presse et le programme futur de publication du Parti.

Il a été décidé une contribution convenable pour l'édition en langue française du Dialogue avec les morts, qui a été donné ces jours-ci à l'impression, et on a examiné un plan pour les éditions futures du parti, parmi lesquelles celle qui sera consacrée aux matériaux historiques de la polémique entre l'Internationale Communiste et la gauche italienne au cours des années qui suivirent la première guerre mondiale. Il y a chez les camarades une vive impatience pour cette publication, qui correspond également au compte rendu de la réunion de Milan (qui n'a pas trouvé place dans les colonnes du journal) , dans la mesure où elle servirait à battre en brèche la spéculation obscène qui est faite à propos des grandes traditions du mouvement communiste en Italie. Mais malheureusement notre capacité économique est très réduite et elle est limitée du fait de notre petit nombre, tandis que nous excluons de l'accroître par le biais de méthodes publicitaires et promotionnelles, de même que nous n'acceptons pas qu'affluent vers notre mouvement de douteuses Madeleine repenties provenant du lupanar opportuniste et stalinien, ou d'autres couches équivoques du point de vue idéologique et politique, du fait de leurs certificats … historiques répugnants et suspects. La route continue en plein soleil, mais rude et dure à parcourir, comme elle doit l'être pour conduire dans la direction juste.

I. - Connexion avec l'étude sur la Russie

Les réunions précédentes

Comme il est de règle, le rapporteur a rappelé le plan des sujets qui ont été abordés durant les réunions qui ont désormais couvert une période de six ans dans le travail du parti : travail qui a eu lieu dans le sous-sol, non pas parce que l'on voulait le soustraire à la vue des hommes, mais parce qu’une telle œuvre remédie à une ruine en recommençant à partir des fondements.

La réunion actuelle est en parfaite continuité avec celle qui s'est tenue en septembre 1956 à Cosenza : elle a en commun avec elle le sujet qui porte sur l'économie de l'Occident, et elle aura aussi en commun le compte rendu qui sera diffusé. Ce résumé de la réunion de Cosenza qu'il est recommandé d'avoir à l'esprit, non seulement pour le lecteur, mais surtout pour le participant à la réunion de Ravenne qui devrait se mettre en rapport avec l'organisation locale, a paru dans le n° 19 de 1956 (22 septembre – 5 octobre) de notre journal.

C'est ainsi que s'ouvre une nouvelle série après celle qui a été consacrée à la Russie (Bologne, Naples, Gènes, et la récapitulation de Turin) , et avec l'intermède de Milan sur les questions de la tactique communiste internationale. Cette série sera poursuivie dans d'autres réunions futures, et sa rédaction commencera dès que sera achevée la publication de la série sur la " Structure économique et sociale russe ", qui comprendra encore d'autres épisodes bimensuels.

Comme il est dit ailleurs, la matière de Milan sera présentée sous forme d'une publication en volume dont le travail, commencé depuis un certain temps, sera repris et mené à son terme au cours des mois qui viennent.

Les thèmes de la série russe et de la série occidentale sont étroitement liés, non seulement pour les raisons générales qui font de tout processus social moderne une question internationale, mais aussi dans la mesure où notre thèse relative à la Russie se présente comme la démonstration que son économie est sujette aux lois qui régissent le mode de production bourgeois. Par conséquent, l'étude portant sur l'économie capitaliste en général et sur son processus historique met justement en pleine évidence les caractères essentiels que le processus russe conserve et reproduit, et elle sert à chaque instant à démentir la théorie mensongère qui veut décrire la structure soviétique actuelle comme socialiste.

Le rapporteur, après avoir expliqué qu'il n'était pas possible de clore la série russe dans ces colonnes avant d'avoir consacré toute notre attention à la série occidentale, et avant de passer au rattachement du travail d'aujourd'hui avec celui effectué à Cosenza, a voulu s'arrêter sur certains liens étroits entre notre discussion russe dans ses conclusions récentes et la critique de l'économie américaine (de plus en plus prise comme modèle dans l'Europe dominée) , ainsi que celle de la récente théorie économique officielle qui est une apologie du capitalisme vieux, de même que, dans la critique de Marx, l'économie " vulgaire " avait été une apologie du capitalisme plein et adulte – alors que l'économie classique de Smith et de Ricardo avait été le cri de guerre du capitalisme jeune et révolutionnaire du début du XIX° siècle.

Industrie et agriculture

Toute notre étude sur la Russie porte sur la différence radicale entre économie étatisée, c'est-à-dire gérée et contrôlée par l'État, et économie socialiste et communiste, de socialisme " inférieur " ou " supérieur " au sens de Marx. Et donc sur la classification de la structure productive industrielle en Russie non comme socialisme, mais comme capitalisme d'État.

Mais la démonstration qu'il s'agit d'un capitalisme d'État qui n'est pas géré par un pouvoir prolétarien et révolutionnaire, et donc orienté vers la révolution communiste totale, qui ne peut avoir lieu dans une seule nation; qu'il s'agit d'un capitalisme d'État étranger à la direction prolétarienne de classe et donc encore plus conservateur que le capitalisme " privé " des formes générales du mode bourgeois de production, en Russie et dans le monde ; cette démonstration donc est non seulement tirée de l'histoire de la lutte qui a conduit à la situation politique russe actuelle, mais elle s'appuie aussi sur une critique serrée de la production agricole, dont les formes sont encore en deçà de l'industrialisme d'État.

Ce n'est que pour une faible part que la production agricole est gérée par l'État d'une manière comparable à celle que l'on a dans l'industrie manufacturière ; et si la part restante ne présente plus de formes de propriété foncière privée et d'entreprise capitaliste libre, sur de grandes étendues, elle a reçu une organisation, celle de la forme kolkhozienne longuement étudiée, dans laquelle la forme bourgeoise rurale est présente, mais seulement avec une forme originale, c'est-à-dire une forme coopérative non familiale où les entreprises s'organisent selon des modalités nettement contre-révolutionnaires et inférieures par rapport à celles que présentent en général les pays bourgeois occidentaux. Propriété et entreprise se présentent à deux niveaux : le niveau collectif où elles ne sont pas nationalisées ou étatisées mais enfermées en réalité dans la forme coopérative, qui ne cesse pas d'être une forme privée et de stimulation de l'intérêt privé, de domination de son jeu anti-socialiste, et le niveau familial où propriété de la terre, et propriété du capital (cheptel et outillage) destiné à l'exploiter, sont honteusement immobilisées dans une structure moléculaire extrême qui n'a pas de solution historique.

La clé de la théorie marxiste sur le passage du capitalisme bourgeois au socialisme prolétarien est contenue dans la doctrine originale et puissante du rapport entre industrie et terre, entre ville et campagne. Cette théorie établit que la contradiction séculaire entre les deux formes ne sera jamais résolue dans le système capitaliste, mais seulement par la révolution et dans le socialisme, lequel renversera le mouvement démographique insensé des campagnes vers les villes, la fuite des populations de la terre pour aller s'entasser dans les monstrueuses nécropoles - selon les termes d'un scientifique non marxiste – de la civilisation industrielle.

C'est précisément dans la mesure où la transformation de la structure capitaliste en structure socialiste ne pourra pas être un processus limité à une seule nation aussi grande soit-elle, et surtout si chez elle la forme industrielle de production n'a pas atteint son degré de maturité ; c'est précisément aussi dans la mesure où le marxiste a le droit de nier le socialisme mis en œuvre ou promis dans la Russie isolée, que l'on doit affirmer que ce que l'on veut c'est la révolution politique socialiste internationale, sinon mondiale, mais ce n'est pas une industrialisation bourgeoise à 100%.

La société bourgeoise pour Marx, dans le modèle que la main de maître de Marx traça d'elle quand des exemples de son stade mûr faisaient défaut, n'a pas deux classes mais trois (et, dans les interstices de celles-ci, il y a des couches de classes plus anciennes, surtout dans les campagnes) , et elle n'a pas une seule figure mais deux; et nous n'attendrons pas pour en résoudre la crise que les classes ne soient plus que deux : entrepreneurs et ouvriers ; et que la figure soit unique : celle de la grande entreprise industrielle.

Cette conception appartient aux socialistes révisionnistes d’il y a deux générations; quant aux révisionnistes méprisables d'aujourd'hui, qu'ils prennent le nom de socialistes ou de communistes, ils ont même renoncé à cette position, et ils perpétuent les formes de la petite économie privée, en les préférant carrément à celle de la grande entreprise.

La conception selon laquelle une société de grandes entreprises pour toute la production serait possible, avec un État gouverné par la classe des entrepreneurs et avec la terre lui appartenant en totalité, sans aucun partage privé, est d'ailleurs antérieure à Marx; c'est celle de Ricardo, qu'il a démolie, et selon laquelle la rente foncière n'allait pas au menu fretin familial et paysan mais à l'État, lequel distribuait la terre en location aux grandes entreprises privées capitalistes.

La forme moderne kolkhozienne qui prédomine en Russie aurait fait s'indigner un ricardien des premières décennies du XIX° siècle, de même qu'un socialiste bernsteinien ou turatien du début du XX° siècle, et, à ces deux tournants de siècle, elle aurait enchanté, hier, seulement les prêtres et les vieilles bigotes et aujourd'hui, les audaces néo-chrétiennes et néo-mazziniennes des partis paysans-artisans, et d'intellectuels mesquins.

Entreprise et famille

Concernant la question russe, nous avons montré que la gestion parcellaire prédomine sur la gestion collective au sein du kolkhoze, et aussi dans l'économie agricole générale; et cela parce que nous nous refusons à définir comme de la collectivisation et comme du socialisme la location en grand de la terre à chaque kolkhoze, et l'entreprise collective de celui-ci qui répartit son bénéfice entre ses associés. Même si cette prédominance ne découle pas de manière brute des données quantitatives (en Russie c'est en raison de l'élément fondamental du capital-cheptel – tandis que dans les pays satellites c'est encore en raison de la quantité de terre qui n'appartient ni aux kolkhozes ni aux sovkhozes) , elle est irréfutable au regard du potentiel contre-révolutionnaire suprême d'un facteur : le lien étroit entre l'institution économique et l'institution démographique, l'entreprise et la famille, binôme de base sur lequel sont construits tous les piliers sociaux du monde de droit privé, et qui conduisent à lier cette structure moléculaire extrêmement fragmentée à l'aide de deux ciments de la réaction anti-socialiste la plus effrayante : religion-prêtrisme et patriotisme-armée.

La bourgeoisie la plus moderne a indiscutablement son centre de gravité et son cœur qui bat dans la très grande industrie et dans le processus de son effrayante concentration ; elle fonde, comme la bourgeoisie très jeune, sa défense de classe sur l'emploi sans réserve de la dictature, mais elle compte aussi – ce qui a du reste des précédents historiques dans la lutte anti-féodale d'alors – sur le jeu de la seconde figure de sa société mondiale complexe, sur la mobilisation des couches petites-bourgeoises. Elle entretient cette mobilisation dans les campagnes où elle va puiser ses armées pour les guerres impériales de masse, et elle n'a aucune raison de ne voir, comme dans l'Angleterre classique, que dans le grand propriétaire foncier conservateur son seul allié possible : elle fonde partout ses partis de droite, que ce soit en phase dictatoriale ou en phase démocratico-libérale, sur les couches de la petite et de la moyenne bourgeoisie, sur lesquelles elle s'appuie pour corrompre les couches prolétariennes pures.

La bourgeoisie a, depuis un siècle, appris du Manifeste que, pour faire surgir ces grandes armées industrielles de réserve, elle devait détruire de ses propres mains ces mythes conservateurs que sont le petit foyer, qui peut toutefois être toujours allumé, et le noyau familial, qui ne résiste que quand il y a un intérêt économique matériel qui se transmet entre les générations, et avec eux, ses grandes digues de défense : la mythologie religieuse, les mythologies nationale et raciale.

Par conséquent la " politique sociale " du pouvoir du grand capital, auquel personne ne peut enlever le rôle de protagoniste dans l'histoire internationale moderne (certains camarades ont extrapolé quelque peu la conclusion sur la position de l'État russe actuel qui s'opposerait au prolétariat urbain en s'appuyant sur la masse rurale kolkhozienne) , paraît aujourd'hui s'orienter vers l'encouragement d'une fragmentation économique à la base qui réunirait à nouveau les masses fluides et ardentes dans ces petites agglomérations froides d'habitation et d'" installation ".

À quoi d'autre tendent les mensonges de l'école économique keynésienne, ou celle du " Welfare ", c'est-à-dire du bien-être national, bien singées en Europe et en Italie, si ce n'est à soutenir, à l'aide de faits statistiques habilement truqués, leurs thèses anti-marxistes favorites, selon lesquelles en Amérique (et chez leurs fidèles imitateurs d'après-guerre) il n'y a pas de nettes différences de classe, il n'y a pas de misère, il y a une courbe croissante du bien-être et du niveau de vie général et moyen, et il y a un nivellement de plus en plus grand des extrêmes diversités de jouissance sociales différentes, bref, il n'y a pas la concentration inexorable de Marx, mais la fragmentation providentielle de la richesse en gentils petits ruisseaux qui se rejoignent tous?

En Russie, la formation de la machine productive moderne repose toujours sur les épaules du prolétariat d'usine, qui a été affamé y compris dans les pauses entre les révolutions et les guerres : mais, dans les campagnes, joue à plein une politique " keynésienne " en faveur d'une " démocratie économique " pusillanime et avec une véritable " démocratisation du capital " qui réalise un incontestable flux de plus-value de la ville vers la campagne, que l'État favorise et planifie ; ceci dénote une convergence dans la sauvegarde et la défense du grand capital moderne, qui campe de la même façon dans les corporations-monstres et dans l'État- actionnaire, alors que les " rois "  traditionnels du capital privé sont réduits à des exemplaires rarissimes.

La famille sert à la conservation bourgeoise non pas par le haut, mais par le bas. Il en est de même de l'héritage.

Kolkhozianisme industriel

En Amérique également, l'agriculture en crise bénéficie d'un important protectionnisme, et d'une politique de l'État qui soutient le cours des denrées alimentaires grâce au budget national.

Mais c'est précisément dans les villes et dans les zones hautement industrialisées que la conservation capitaliste rêve d'introduire quelque chose de semblable à un " kolkhozianisme " – si l'on admet, a dit le rapporteur, de donner à ce mot russe un usage généralisé et mondial. Nous voyons du kolkhozianisme partout où l'on se fonde sur un îlot entreprise-famille qui reproduit en soi l'identité patriarcale-féodale entre production et consommation. C'est sur cette trame traditionnelle et arcadienne que s'appuie une sensibilité à l'intérêt individuel-familial qui est totalement conservatrice. Lorsque la certitude de la nourriture du lendemain repose non seulement sur une activité de travail qu'on devra y affecter, et qui est inhérente à la potentialité de force de travail du sujet, mais aussi sur la disposition assurée d'une certaine quantité de capital, c'est-à-dire de matières premières et d'instruments de travail à petite échelle, auquel on appliquera cette force du sujet, et lorsque ce micro-mécanisme est tel que l'on peut aussi occuper en plus de l'activité de l'individu adulte celle des membres de sa famille : femme et enfants des deux sexes, alors, à cette structure économique, correspond une superstructure idéologique craintive, traditionaliste, conservatrice, et fondée sur le " avant tout, ne pas perdre ", qui fait du travailleur et de ses " collaborateurs " (terme de la statistique agricole italienne à l'époque fasciste, pas très différent de celui qu'emploie la statistique russe) un défenseur politique déterminé de l'ordre existant. Celui qui se trouve dans un réseau serré d'intérêts matériels de ce type est servi par un régime qui, comme celui des États bourgeois, reconnaît la liberté et la sécurité de la propriété : la " protection de la propriété kolkhozienne " n'est pas une chose différente dans la constitution soviétique.

Le travailleur de la grande entreprise qui n'a plus rien à consommer durant les périodes de chômage, et qui n'a pas de foyer à allumer, et parfois non plus de toit stable, s'il ne participe pas à la vente quotidienne de sa force de travail, et pour lequel produire et consommer sont deux stades étrangers, séparés désormais par un abîme que l'on ne peut combler, parce que non seulement c'est un délit pour lui d'emporter les produits qu'il fabrique de ses mains, mais aussi parce que, en général il lui est impossible, ainsi que pour les membres de sa famille, de les consommer, ce travailleur, et lui seul, avec une infrastructure matérielle de rapports de ce type, s'élève à la position sociale de celui qui n'a rien à perdre et tout à gagner dans la lutte révolutionnaire. L'abc du marxisme réside en cela. Et chez ce travailleur, le capital a détruit tout intérêt à la transmission héréditaire, et donc le concept d'unité familiale, tout lien avec le lieu d'exploitation, tout patriotisme, tandis qu'il existe les prémisses pour le soustraire à la foi religieuse et pour en faire un combattant pour une forme sociale différente, pour améliorer non plus sa situation, ni celle de son frère, de son fils, de son voisin d'usine, mais celle de toute l'unité mondiale des sans-ressources.

La théorie de la misère croissante est celle qui affirme que le nombre de ceux-là augmente au fur et à mesure que se développe l'accumulation du capital, même si le salaire et le niveau de vie moyen des ouvriers en activité s'améliorent historiquement ; mais la théorie marxiste n'a jamais considéré que, pour le passage au socialisme, il fallait attendre que tous les travailleurs en soient réduits à être de véritables prolétaires par l'expropriation de leurs toutes petites propriétés parcellaires. L'absurdité scandaleuse du faible rendement de toute production parcellisée, par rapport à la production associée, ne peut pas être totalement surmontée sous le régime capitaliste ; et cette impossibilité est de plus en plus grande au fur et à mesure que l'on passe de la fabrication de produits manufacturés, au commerce, à la production des denrées alimentaires.

Les formes américaines

Toutes les formes de l'économie américaine, en tous cas celles qui y sont particulièrement développées, et sur lesquelles se fonde la prétention que là-bas il n'y aura jamais de parti révolutionnaire, de lutte de classe, et même, selon les derniers apologistes les plus extrémistes, ivres du " boom " qu'elle traverse (mais qui ignorent les ombres récentes qui se profilent à l'horizon) , que l'on ne pourra plus distinguer les classes dans la société (en Amérique, chacun vivrait bien aujourd'hui parce qu'il a un job, une place rémunérée, et parce qu'il possèderait un certain petit capital en actions de son entreprise ou d'autres entreprises, ou encore en obligations d'État; dans un nombre d'années que l'on peut calculer, plus personne ne vivrait dans une maison louée, mais tout le monde aurait sa propre maison…) , toutes ces formes dont on fait la propagande à l'aide d'un battage sans égal méritent qu'on leur affuble le qualificatif de kolkhoziennes ; et elles ont aussi en commun avec la forme russe qu'elles font leur publicité en se servant du même instrument : le pulvérisateur de chiffres d'accroissement statistique.

Il y a, ou du moins on distingue, parmi ces formes : 1. La forme démocratique du capital, dont le président réélu fait l'apologie, c'est-à-dire la distribution d'actions de l'entreprise aux travailleurs stables, pour partie en " cadeau " pour leur longue appartenance au même employeur, pour partie en épargne sur la rétribution due au travailleur lui-même. 2. La politique de soutien à la construction de maisons pour les travailleurs de l'entreprise elle-même, avec des avances de l'industrie, de l'État, et un crédit à long terme et à bas taux d'intérêt que le travailleur ou l'employé peut déduire de son revenu, puisqu'il ne paye plus de loyer une fois qu'il est devenu propriétaire de son habitation près de l'usine. 3. Le système des ventes à crédit, qui a tout envahi, non seulement pour les motos et les voitures, mais aussi pour des articles domestiques sophistiqués qui constituent le prétendu " installment ", c'est-à-dire le complément à la maison nue avec des meubles et des appareils divers, depuis la machine à laver jusqu'au réfrigérateur et au téléviseur : tout cela fourni à crédit à long terme sur la foi du lien du salarié avec cette entreprise donnée.

Ces trois formes principales constituent une vente anticipée de la force de travail future, qui a pour conséquence de rendre débiteur celui qui ne possède rien, c'est-à-dire de le faire devenir possesseur négatif, propriétaire en dessous de zéro. Mais en même temps il y a là le petit paquet d'actions, la maison, la voiture, toute l'installation domestique, qui donnent la sensation d'une possession et d'une jouissance conquises, et qui posent les bases de la psychologie petite-bourgeoise et réactionnaire, favorisée encore par tant d'autres aspects piteux des mœurs et de la mentalité américaines, d'année en année plus écœurants.

Nous savons qu'en Italie ces formes ont leurs chauds imitateurs avec les plans Fanfani et Vanoni, avec les campagnes démagogiques des partis " de gauche " en faveur de la fameuse stabilité concernant la maison, la terre, le travail.

Des économistes de mentalité tout à fait bourgeoise ont parlé de ce système on ne peut plus moderne comme d'un nouveau " féodalisme industriel " qui se dessine à l'horizon. Il intègre la fonction conservatrice de toutes les " conquêtes " qui, dans les pays les plus riches, et en premier lieu l'Angleterre depuis déjà l'époque de Marx et d'Engels, furent soutenues par les socialistes légalistes et ensuite par les divers partis catholico-sociaux et démocratico-sociaux, et qui ont enfermé le prolétariat salarié dans le réseau d'assistance et de prévoyance avec les innombrables formes d'assurance contre la maladie, l'invalidité et la vieillesse, et avec la machine bureaucratique pestilentielle qui s'incruste dessus, en faisant pénétrer un pus petit-bourgeois dans les rangs des organisations ouvrières, qui désormais, sous tous les cieux et sur tous les fronts, n'engagent plus de luttes, même pour des conquêtes immédiates et minimes, mais quémandent des concessions et des protections, et des fragments d'aumône.

En mécanisant en Amérique la modeste maison du travailleur, on fait en sorte qu'on ne passe pas de temps en services domestiques : tout est dans le réfrigérateur, en conserves prêtes à la consommation sans faire de cuisine, et on le remplit à nouveau en téléphonant au boutiquier qui prend note de la dette sur un compte. Le temps de la femme et de la fille devient disponible pour la faim de force de travail du capital, mais le " foyer ", dans ses effets sur la structure économique et sur la superstructure des idées, reste le même : surtout ne pas perdre la stabilité dans ce repaire empli de choses, parfaitement kolkhozien, et aussi rétrograde que l'isba de la campagne russe.

L'auditoire a ri de ces préliminaires sur les kolkhoziens industriels d'Occident, qui nous font détester encore plus le kolkhozien " socialiste " d'Orient et chez lesquels la boîte de bouillon de poulet ne fait pas cocorico à l'aube mais a la même fonction que le petit poulailler privé permis en Russie par la constitution.

II. – La courbe d'accroissement de la production capitaliste

Précisions sur les graphiques de Cosenza

À la réunion de Cosenza, on a illustré deux graphiques qui reproduisaient le développement de toute la production de l'industrie dans différents pays, que Khrouchtchev a comparés dans son discours au XX° Congrès russe, et qui précisaient ce qui était déjà contenu dans l'aperçu historique du cours du capitalisme inséré dans le volume du Dialogue avec les morts. Le premier graphique fournissait la série des indices de la production industrielle de sept pays : URSS, USA, Grande-Bretagne, France, Allemagne, Japon, Italie. Les indices prenaient pour référence la valeur 100 pour l'année 1932, et ils considéraient de manière détaillée, année par année, la décennie d'après-guerre, 1946-1955. Ce graphique était en outre relié aux données de 1937 et de 1932.

Un second graphique, dérivé du premier, mentionnait pour l'ensemble des neuf années, et année par année, la valeur de l'accroissement de la production par rapport à l'année précédente, qui était donc indépendante de l'année choisie pour référence.

Ces graphiques étaient tous deux construits à l'aide de données officielles de source russe : non seulement celles figurant dans le discours de Khrouchtchev, mais aussi celles de Staline aux précédents congrès, et certaines données présentées dans les notes de Varga sur l'Impérialisme de Lénine.

Parmi toutes ces données, il y avait des lacunes et on avait suppléé aux années manquantes en supposant l'accroissement constant pour la période en question. De plus, dans les calculs et dans la comparaison des sources, on s'était exposé à certaines petites incongruités. Ces deux aperçus, qui ont été présentés dans l'édition de Cosenza, ont été rectifiés avec soin, et, en outre, pour les pays occidentaux ils concordent avec les données non russes et celles des annuaires internationaux.

Étant donné que, à Cosenza, certains camarades ont copié données et graphiques, nous reproduisons ici les données telles qu'elles ont été rectifiées : en indiquant pour chaque pays d'abord les indices de la production pour les années 1946 à 1955 (qui représentent dix chiffres) avec pour base de référence l'année 1932 = 100; et ensuite les accroissements année par année, qui sont au nombre de neuf.

URSS : 252, 309, 390, 470, 585, 684, 768, 865, 983, 1108 / 22,6, 26,2, 20,5, 24,5, 17,0, 12,3, 12,7, 13,7, 12,7.

USA : 283, 315, 324, 304, 337, 371, 390, 419, 389, 433 / 11,1, 2,9, -6,3, 11,0, 10,1, 5,0, 7,3, -7,1, 11,3.

Grande-Bretagne : 153, 157, 175, 187, 199, 208, 199, 210, 225, 235 / 2,6, 11,5, 6,9, 6,4, 4,5, -4,3, 5,5, 7,1, 4,4.

Allemagne : 58, 80, 109, 155, 195, 234, 250, 262, 305, 355 / 13,7, 13,7, 42,2, 25,8, 20,0, 6,8, 8,8, 12,1, 16,4.

France : 91, 107, 123, 133, 133, 151, 157, 152, 165, 181 / 17,6, 15,0, 8,1, 0,0, 13,5, 4,0, -3,2, 8,6, 9,7.

Japon : 52, 63, 83, 103, 117, 159, 177, 216, 234, 244 / 21,2, 31,7, 24,1, 13,6, 35,4, 11,3, 22,1, 8,4, 4,3.

Italie : 109, 129, 153, 164, 188, 216, 224, 247, 270, 294 / 18,4, 18,6, 7,2, 14,6, 14,9, 3,7, 10,3, 9,8, 8,9.

On a donné quelques indications sur les résultats de 1956, mais ce ne sont que des estimations étant donné que l'année n'est pas encore terminée. Pour la Russie, le plan prévoyait 11,5% d'augmentation, ce qui est moins que les 12,7% de 1955. Il semble qu'il y aurait eu une augmentation moindre : les données concernant certains produits de base de l'industrie lourde, qui ont d'habitude une influence importante sur l'indice moyen, donneraient : acier 8,5 contre 8,6 prévus par le plan; pétrole 19,2 contre 13,8 prévus par le plan; électricité 15,5 contre 13,5 prévus par le plan. Ces derniers chiffres représenteraient en fait une amélioration, mais il semble que c'est l'industrie légère (et aussi les charbonnages) qui soit en retard sur le programme. En effet, le rapport russe officiel sur le développement économique du pays dit : " La production industrielle a augmenté d'environ 11% par rapport à 1955. Mais certains secteurs industriels ont souffert de graves déficiences, et parmi eux, les ministères de l'industrie charbonnière, de la métallurgie ferreuse et des matériaux de construction, qui n'ont pas atteint les niveaux fixés ". Aux USA également, les nouvelles sont contradictoires; par rapport aux 11,3 sans équivoque de la grande année 1955, on aurait eu en 1956 un accroissement de 2,6 selon certaines sources, et de 5 (plutôt douteux) selon d'autres.

En Italie, on présume 8% contre le 8,9 précédent. En France, 7% après 9,7. En Allemagne, 6% seulement contre l'imposant 16,4 de 1955; mais d'autres informations affirment que les données relatives aux deux derniers mois ont été exceptionnelles. Aucune donnée sur le Japon; en Angleterre, après le modeste 4,4% de 1955, les premiers mois de l'année ont marqué une augmentation, mais les derniers une baisse; et donc l'accroissement sera proche de zéro.

Conclusions inchangées

Il est nécessaire de préciser que les rectifications que nous avons apportées n'ont changé en rien les conclusions que nous avons tirées du tableau à Cosenza.

Khrouchtchev voulait, avec son petit tableau, montrer la supériorité indiscutable de l'industrie russe. Il a choisi les indices de 1929, c'est-à-dire qu'il a posé égale à 100 une année où tout le monde capitaliste avait, avant la crise, une production maximale, tandis que seule la Russie connaissait un minimum absolu ou presque de sa production dans toute l'époque d'entre les deux guerres. Le minimum absolu eut lieu en 1920, année où une industrie pratiquement détruite recommença ses premiers pas. Quoi qu'il en soit, le tableau 1929-1955 de Khrouchtchev était impressionnant. Alors que la Russie avait augmenté sa production de plus de vingt fois, les États-Unis, le Japon et l'Allemagne se situaient un peu au-dessus du double, et les autres au-dessous. Si l'on avait au contraire choisi une année de crise pour le capitalisme occidental, comme le fut l'année 1932, qui a représenté le fond du précipice de 1929-1932, le résultat aurait été tout autre. Si l'on ramène en effet les chiffres mêmes de Khrouchtchev à l'indice 100 en 1932, la scène change : la Russie, qui ne se ressent pas en 1932 de la crise internationale, se retrouve à 11 fois et non plus à 20 et davantage; les États-Unis à 4,33; l'Allemagne à 3,55 et ensuite les autres. La supériorité russe de presque dix fois se réduit à deux fois et demie.

Mais si ensuite on choisit la crise qui les a tous bouleversés (à l'exception cette fois-ci, comme cela fut illustré à Cosenza et dans le Dialogue, de l'Amérique qui fait toujours de bonnes affaires au cours des guerres mondiales) , apparaît alors le tableau dont nous avons donné les chiffres détaillés plus haut.

Sur les neuf années considérées, la Russie ne connaît l'accroissement annuel le plus important qu'au cours de trois d'entre elles. Pour trois autres, c'est l'Allemagne, et pour les trois autres encore, c'est le Japon, tous les deux des pays vaincus avec éclat. Ce sont donc les désastres qui expliquent les forts accroissements qui leur font suite.

L'augmentation annuelle maximale a été connue par l'Allemagne avec l'incroyable 42,2% de 1949 ; puis suivent le Japon avec le 31,7% de 1948 et la Russie avec le 26,2% de la même année.

La série de l'amélioration globale d'un bout à l'autre de cette période de neuf ans est significative. La Russie, avec un rapport de 4,40 fois, n'est pas la meilleure, mais seulement la troisième. En tête, arrive l'Allemagne avec un très remarquable 6,12. Il s'agit d'un capitalisme qui n'est plus jeune désormais et qui, selon notre loi générale, ne devrait pas avoir les accroissements les plus importants : ils sont la conséquence de la destruction et de l'invasion totales qui ont précédé mais qui n'ont cependant pas anéanti le potentiel scientifique, technique et productif, du pays. Le deuxième des sept est le Japon, avec un rapport de 4,69 fois : s'il s'agit d'un capitalisme plus jeune, la défaite n'a pas été cependant suivie par une invasion aussi effroyable de son territoire, ni d'un démembrement. La Russie, troisième avec 4,40, compense l'extrême jeunesse de son capitalisme, fait favorable, avec la victoire, facteur contraire de ce point de vue, mais victoire qui fit suite à une invasion qui a détruit ses zones industrielles les plus importantes. Et c'est l'Italie, rien que ça, qui arrive en quatrième position ; pays de capitalisme adulte, et donc à l'accumulation peu rapide, mais, elle aussi, battue et envahie. Cinquième, la France, qui a vaincu, mais chèrement comme la Russie, et qui a un capitalisme âgé et lent. La Grande-Bretagne, vainqueur et âgée, est sixième. Septième, l'Amérique qui a vaincu totalement sans avoir été touchée par une seule bombe aérienne et qui a désormais un capitalisme mûr.

Par conséquent, ce qui joue sur la vitesse d'accumulation, ce n'est pas la nature qualitative de la forme de production (le cas échéant, elle baissera très nettement avec le socialisme) , mais elle est influencée favorablement par : l'origine récente du capitalisme; une crise économique récente, et la défaite dans la guerre, en particulier suivie par une invasion désastreuse.

Les causes contraires agissent en sens opposé, c'est-à-dire comme ralentisseurs de l'accroissement : âge élevé, origine ancienne du capitalisme, victoire dans la guerre, défaut de destructions territoriales, et absence de crises récentes de l'économie générale.

Le cours ancien des capitalismes nationaux

Pour vérifier ces règles, ou lois, du cours général de la forme capitaliste, il était évidemment nécessaire d'avoir recours à des données statistiques plus anciennes que celles qui ont été utilisées jusqu'à maintenant et qui étaient limitées au siècle actuel. Ces données ne s'obtiennent pas facilement, et leur interprétation n'est jamais aisée.

Un auteur, Kuschinsky, est parvenu aux mêmes conclusions que nous il y a un certain temps (capitalisme ancien rapide, et capitalisme moderne lent) ; cependant, il n'en trouve pas la raison dans l'âge mais dans la nature différente du capitalisme concurrentiel du XIX° siècle, auquel il attribue un rendement social plus élevé relativement au capitalisme moderne monopoliste et dirigiste qu'il considère comme inférieur et parasitaire, de la même façon que Lénine.

Kuschinsky est un marxiste allemand pro-soviétique, un auteur de recherches historiques sur la production et le commerce mondiaux, sur l'accumulation ou la reproduction élargie du capital, et sur la situation de la classe ouvrière. Il fournit des données qui, d'année en année, vont jusqu'en 1859, et qui sont relatives à l'Angleterre, aux États-Unis, à l'Allemagne et à la France; et des données encore plus anciennes, mais regroupées par décennies, qui vont, pour l'Angleterre, jusqu'à un siècle en arrière, pour les États-Unis, jusqu'en 1829, pour l'Allemagne, jusqu'en 1801, mais pour la France, pas plus loin que l'année 1859 en question.

À partir des données décennales, on peut élaborer les données concernant les années qui terminent ces décennies, et c'est ce que nous avons fait, mais la raison qui laisse planer une forte incertitude sur les chiffres adoptés, et qui ont été réunis sur un grand tableau mural, qui a été exposé et longuement expliqué, est tout autre.

En effet, pour les indices annuels, qu'il rapporte habituellement à l'indice de référence 100 de 1913 (mais pour les indices décennaux à l'année 1900 pour les USA) , l'auteur prévient qu'ils ne concernent pas toute la production industrielle (comme c'est le cas pour tous ceux que nous avons utilisés jusqu'à présent pour la période récente, et avec lesquels nous avons composé notre tableau, les tableaux de Kuschinsky s'achevant en 1913) , mais seulement une partie de la production qu'il est difficile d'apprécier, de la même manière que nous avons procédé implicitement en l'absence, pour le moment, d'autres données plus explicites qui feront l'objet d'une recherche future. Il s'agit en effet des " Industrialwaren ", à savoir des marchandises industrielles, des produits de l'industrie, mais réduits de manière restrictive, ainsi que l'auteur l'établit, aux seuls travaux qui utilisent, comme matières premières à transformer, des produits d'autres industries d'amont, et non des produits provenant des cultures agricoles. Et donc, ainsi que le dit l'auteur, on laisse de côté dans les indices l'industrie textile, puisque ses matières premières sont des fibres végétales (la filature seulement ou aussi le tissage?) et toute l'industrie du bois qui transforme des matières issues des cultures forestières. On pourrait même en induire que la sidérurgie des hauts-fourneaux ne serait pas prise en compte, étant donné qu'elle a pour matières premières du minerai de fer et du charbon, et qu'elle le serait uniquement pour la transformation de la fonte en acier, strictement parlant : mais la valeur des indices modernes écarte une telle interprétation et, à l'évidence, ils incluent les produits des industries minières, n'excluant que les matières premières organiques et non minérales.

Malgré ces réserves explicites, le tableau s'est prêté à des conclusions du plus grand intérêt.

Vicissitudes historiques de l'accumulation

Bien que la Russie, le Japon et l'Italie, considérés auparavant au même titre que les quatre autres, soient absents du tableau en question, celui-ci fait apparaître avec évidence certaines règles générales du développement du capitalisme que nous avons vérifié pour une période plus récente sur une échelle géographique plus large.

Les lignes du diagramme changent de caractère aux environs de 1900 et mieux encore de 1913, veille de la première grande guerre internationale. Jusqu'à cette époque décisive de l'histoire du capitalisme, l'allure se présente de manière douce et sans secousses brusques, les oscillations sont légères et nous n'avons presque pas de cas nets de diminution de l'indice (ce qui signifie tout autre chose que la constance de l'accroissement, puisque nous verrons bientôt que l'on conserve la norme du fort accroissement à l'époque ancienne, et de celui beaucoup moins élevé à l'époque récente) . Après 1913, les quatre lignes considérées entament une alternance violente de brusques descentes et de remontées non moins rudes : dont nous ne reprenons pas la description dans ce résumé, puisqu'elle a été donnée dans le Dialogue et dans le compte rendu sur Cosenza. Il est connu que les plongeons les plus impressionnants sont fournis par la grande crise de 1932, qui a commencé en 1929, et qui épargna uniquement la Russie, et par les deux guerres mondiales, qui n'épargnèrent que l'Angleterre et qui marquèrent au contraire des augmentations et une montée de la courbe pour l'Amérique. S'y insèrent des crises mineures bien connues ; celle des États-Unis de 1921 qui eut une influence sur la France et l'Angleterre, tandis que l'Allemagne, effondrée en 1919, en eut d'autres en 1923 (elles coïncidèrent avec les fameuses insurrections du prolétariat) et la crise américaine de 1938, qui était apparue en 1936 en Allemagne et qui a été ressentie en Angleterre en 1938, de même qu'en France, crise que nous appelons crise de Staline parce que celui-ci prévoyait l'écroulement du capitalisme dans une guerre qu'il anticipait (discours du printemps 1939) , alors que le capitalisme a répondu avec la nette reprise que la guerre en Europe produisit comme d'habitude en Amérique, et une nouvelle chute pour celle-ci en 1941, à laquelle elle répondit en intervenant dans la guerre et en provoquant la ruine de tous les autres et sa reprise spectaculaire. Cette dernière, comme nous l'avons montré ailleurs, laissa l'industrialisme russe, frappé par l'invasion allemande dans ses parties vitales, bien loin derrière. L'Amérique connut une autre crise, secondaire, en 1945, causée par la tension de la " guerre froide ", une autre encore en 1949 à laquelle remédia la guerre de Corée, autre véritable affaire mondiale, et une autre descente bien connue en 1954 à laquelle succéda le " boom " de 1955. Nous nous limiterons ici à donner les chiffres de l'Amérique à partir du maximum de 1937, en signalant qu'ils coïncident très bien avec le graphique américain montré à Cosenza, et avec les considérations qui ont été exprimées dans le compte rendu synthétique que nous avons déjà cité et auquel nous renvoyons le lecteur : 220 (37) , 162 (38) , 213, 236, 308 (41) , 373, 445 (43) , 435, 375, 328 (46) , 365, 376 (48) , 353 (49) , 391, 430, 452, 483 (53) , 451 (54) , 502 (55) . Nous présumons que l'année 1956 donnera environ un chiffre de 515 qui est de toute façon le maximum de tous les temps, le sextuple de celui de 1914, tandis que les phases ascendantes données par les chiffres écrits ci-dessus fournissent des accroissements, bien qu'en alternance avec de brusques diminutions, qui, comme nous l'avons montré ailleurs, ont dépassé les accroissements russes des années correspondantes, par exemple entre 1938 et 1943; c'est-à-dire 2,75 en 5 ans pendant lesquels la Russie a marqué le pas, en augmentant sa production d'à peine 20% contre le 175% de l'Amérique qui fit la guerre aux frais de son alliée très éprouvée. Et en rechutant en 1946 au niveau de 1938, là où l'Amérique, dans la même comparaison, reste toujours au double, malgré la crise transitoire.

Si nous laissons de côté d'autres détails qui ressortent du tableau, l'on doit noter combien était significative la prévision de Marx concernant les violentes successions de hauts et de bas caractéristiques de l'accumulation du capital, prévision déduite de la période antérieure à 1860 où les variations sont à peine marquées; et aussi la prévision de Lénine, due à la même école, sur les tempêtes qui secoueraient l'impérialisme moderne, étudiées à la veille de la première guerre mondiale.

Les données des tableaux de Kuschinsky et du diagramme intégral montrent de toute évidence la baisse des accroissements relatifs avec le cours du temps dans tous les pays considérés. Et cela malgré l'absence d'industries comme l'industrie textile avec laquelle la grande industrie capitaliste a connu, en particulier en Angleterre, un début irrésistible et éclatant.

Tous les calculs effectués sur les indices numériques montrent que le capitalisme présente, au départ, des accroissements annuels de la production industrielle qui se situent entre quinze et dix pour cent, et que, à la fin, il s'abaisse à un rythme de trois et encore moins pour le plus ancien, c'est-à-dire le capitalisme anglais.

Pour mener une étude meilleure sur ce cours à grande échelle historique, on a expliqué à la réunion une méthode qui consiste à tracer au-dessus de la ligne de chaque diagramme une ligne qui l'enveloppe par le haut, c'est-à-dire qui est tangente à la ligne initiale et qui est constituée de tous les maxima temporaires, au-dessous desquels apparaissent les creux des crises et des grandes guerres, surtout de celles qui ont été perdues. Cette nouvelle ligne montre à l'évidence la loi de la baisse des accroissements, à laquelle elle permet de donner une forme commune aux différents cas historiques et lieux géographiques, qui sera l'objet des études ultérieures.

La courbe des sommets maximums

La méthode décrite qui consiste à étudier non pas le diagramme effectif des indices de production industrielle année par année, mais la ligne que l’on en déduit en reliant tous les points les plus hauts qui séparent une précédente période de montée d’une période suivante de descente due à une crise de la production et souvent à de grandes guerres, permet de conclure avec certitude – sous réserve d’élaborer par la suite des tableaux et des graphiques plus complets et plus contrôlés, et surtout exposés sur tout le cours historique avec un critère uniforme – par la validité des lois auquelles on fit allusion dans le Dialogue avec les Morts.

Qu’il soit comme toujours bien clair qu’en faisant ceci nous ne prétendons pas avoir découvert quoi que ce soit de nouveau mais nous prétendons seulement avoir donné une expression plus utile à la doctrine marxiste du capitalisme que le mouvement communiste possède comme un bloc unitaire depuis désormais à peu près 120 ans et qui doit servir jusqu’à la mort historique du capitalisme lui-même.

Ces lois expriment que l’accroissement annuel moyen de la production est maximum à la formation de n’importe quel capitalisme national et qu’il va ensuite en diminuant progressivement. D’habitude, quantitativement, la loi concerne la décroissance d’un taux, d’un pourcentage, alors que la masse, la valeur absolue de la quantité étudiée augmente toujours. Nous avons une analogie, pas seulement formelle, avec la loi de la baisse du taux de profit ; la masse du profit capitaliste augmente toujours, mais le taux, c’est-à-dire le rapport du profit total au capital total (pour nous, comme c’est connu, capital total égal valeur totale du produit annuel) diminue historiquement. Nos diagrammes ne se préoccupent pas pour l’instant du profit mais de la production et de son taux d’accroissement ou rapport de l’augmentation de la production à la fin de deux années consécutives à la production totale de la première. Alors que le produit total augmente toujours, son taux d’accroissement diminue toujours.

Comme chez Marx, il s’agit de lois tendancielles, c’est-à-dire de lois qui s’appliquent sur de longues durées et au-delà des causes conjoncturelles comme disent aujourd’hui les économistes. Durant des périodes brèves, il peut arriver non seulement que le taux aille en augmentant en non en diminuant, mais également que la valeur de la quantité de base (le produit total, dans l’autre exemple la masse de profit) n’aille pas en croissant mais qu’elle diminue. Qu’advient-il en de pareils cas anormaux du taux de profit ? Pour la production industrielle totale, dont nous nous occupons aujourd’hui, il est clair que l’on a une diminution, c’est-à-dire que le taux devient négatif, comme en de nombreux cas de nos diagrammes et tableaux présents. Pour le taux de profit moyen, le cas est différent. Dans une situation contingente donnée, il peut effectivement arriver que la masse de profit décroisse mais quant au rapport du profit au capital total il est possible qu’il continue à descendre selon la tendance générale, comme il est également possible que, conjoncturellement, il remonte ; la nature du mode de production capitaliste est telle que le taux de profit, même en période de crise, ne s’annule jamais. Une autre fois nous reviendrons sur l’étude d’un tel point que, en des termes qui ne sont pas nouveaux du point de vue marxiste, l’on peut exprimer ainsi : les phases de bouleversement de l’économie bourgeoise apportent plus d’ennuis aux classes moyennes qu’aux classes extrêmes de la société ; que l’on nous pardonne la digression.

En en restant au domaine de la production industrielle, la loi de la tendance générale à la diminution du taux d’accroissement s’accompagne des lois qui se rapportent à l’âge des différents capitalismes. Les capitalismes d’origine les plus anciennes commencent avec de hauts taux d’accroissement, qui baissent par la suite, mais cependant ces taux sont moins élevés que ceux des capitalismes nationaux nés en des époques postérieures ; ceci pour le simple fait que les derniers arrivés " copient " dès le départ la technique évoluée de la production de masse des pays précurseurs. Ceci, qui est l’abc du Manifeste et de tous les écrits de jeunesse de Marx et Engels, suffit à juger la démence contemporaine sur les diverses voies nationales au socialisme, puisque les voies nationales " au capitalisme " n’en forment, depuis plus de quatre siècles déjà, qu’une seule.

D’autres règles peuvent être utilisées pour interpréter les descentes temporaires des indices et des acroissements. Les crises mondiales de surproduction pèsent plus gravement sur des capitalismes plus mûrs et plus développés, mais donnent également lieu chez eux à des reprises avec des accroissements plus décisifs. Les crises dues aux guerres non seulement pèsent plus fortement, comme c’est évident, sur les pays vaincus et envahis, mais en général épargnent les capitalismes les plus forts ou même leur sont favorables. Au contraire, les périodes de récupération, de reconstruction, ont un rythme plus rapide dans les pays qui ont subi la ruine la plus grande. Et tout ceci fut illustré de façon répétée aux réunions sur la bases des chiffres et des diagrammes.

Conclusions quantitatives

Les premières déductions sommaires de l’étude furent exposées aux participants de la réunion de Ravenne en conclusion de cette partie.

La " courbe enveloppe " du diagramme de l’Angleterre est en général caractérisée par un pas ralenti. Nous disposons ici de données depuis 1760 mais l’origine de cette économie est encore plus lointaine  ; nous répétons que dans les premières données ne figurent pas les industries et les manufactures ne travaillant pas des matières premières non minérales comme l’industrie textile. Donc on part avec des taux minimums de 5 pour cent, qui ensuite vont descendre nettement ; ils sont à 3 pour cent lors de la première moitié du dix-neuvième siècle et à 2 pour cent au début du vingtième siècle.

Regroupons les sommets les plus sensibles et les plus lointains des périodes secouées par des crises et des guerres ; étant donné que ce sont des périodes longues, les valeurs de l’accroissement moyen sont loin des maximums et des minimums des périodes courtes déjà bien connus.

Dans les 50 années qui vont de 1760 à 1810, augmentation de 3,1 pour cent (de 1,2 à 5,2) .

Dans les 49 années de 1810 à 1859, augmentation de 3,0 pour cent (de 5,2 à 24,0) .

Dans les 54 années de 1859 à 1913, augmentation de 2,6 pour cent (de 24,0 à 100) .

Dans les 42 années de 1913 à 1955, augmentation de 1,9 pour cent (de 100 à 193) .

Pour les États-Unis d’Amérique nos données partent de 1827 et donc, même dans ce cas, l’origine est antérieure à cette date. Détaillons : les premiers traits reliant les sommets ou les flêches les plus élévées donnent jusqu’à 11 et 8 pour cent avant 1860. À la fin du siècle on est entre 7 et 5 pour cent. Dans la phase actuelle on se trouve vers les 3 pour cent.

Un regroupement des traits élevés, comme nous l’avons fait précédemment pour le cas anglais, donne les résultats suivants :

Dans les 32 années de 1837 à 1859, augmentation de 8,2 pour cent (de 0,2 à 3) .

Dans les 33 années de 1859 à 1892, augmentation de 7,1 pour cent (de 3 à 29) .

Dans les 21 années de 1892 à 1913, augmentation de 6 pour cent (de 29 à 100) .

Dans les 16 années de 1913 à 1929, augmentation de 4,4 pour cent (de 100 à 205) .

Dans les 26 années de 1929 à 1955, augmentation de 3,4 pour cent (de 205 à 502) .

Le rythme est bien plus élevé que le rythme anglais, du début à la fin, mais la règle de la diminution du taux se vérifie également de façon globale.

Le capitalisme français n’est le cadet que du capitalisme anglais et en effet il démarre avec des taux plus soutenus que ceux de ce dernier, même si nous n’avons des données qu’à partir de 1859, date à laquelle il était déjà développé. Mais les dures épreuves historiques des guerres en freinèrent bien vite l’élan et les données modernes le montrent moins productif non seulement que ne l’est le capitalisme américain mais même que ne l’est le coriace précurseur qu’est le capitalisme britannique.

Au début nous avons des taux de 6 à 5 pour cent (que l’industrie textile soutiendrait sûrement) , à la fin du siècle nous sommes à 4 et 3 pour cent, mais dans la période contemporaine le pas arrive difficilement à 1 pour cent.

Voici un regroupement probant :

Dans les 24 années de 1859 à 1883, augmentation de 3,9 pour cent (de 17 à 45) .

Dans les 29 années de 1883 à 1912, augmentation de 2,9 pour cent (de 45 à 100) .

Dans les 18 années de 1912 à 1930, augmentation de 0,78 pour cent (de 100 à 114) .

Dans les 25 années de 1930 à 1955, augmentation de 0,75 pour cent (de 114 à 133) .

La règle de la décroissance non seulement est évidente mais elle est si marquée que l’on ne peut pas exclure, après une telle baisse, qu’elle ne se renverse dans les prochaines périodes, quoiqu’elle nous soit bien connue pour la dernière décennie.

Pour le capitalisme allemand, qui suit par l’âge le capitalisme français, nous avons des données depuis 1800. Au début nous avons des taux de plus de 5 pour cent, vers la fin de l’époque pacifique nous sommes à 4 pour cent, mais durant l’époque des deux guerres perdues et malgré les reprises très soutenues bien connues on constate des baisses presqu’aussi ruineuses que celles constatées en France. Il s’agit d’un capitalisme durement éprouvé mais plus productif, dont le potentiel n’est pas inférieur au capitalisme anglais et qui est moins détaché du capitalisme américain ; les perspectives lui sont résolument favorables jusqu’au seuil d’une lointaine guerre future.

Le regroupement auquel nous nous limitons dans ce premier compte rendu est le suivant :

Dans les 59 années de 1800 à 1859, augmentation de 4,9 pour cent (de 0,6 à 10) .

Dans les 13 années de 1859 à 1872, augmentation de 4,7 pour cent (de 10 à 18) .

Dans les 40 années de 1872 à 1912, augmentation de 4,4 pour cent (de 18 à 100) .

Dans les 43 années de 1912 à 1955, augmentation de 1,5 pour cent (de 100 à 181) .

Le grand diagramme des quatre pays, qui sera complété et perfectionné dans la suite du travail, a donc pleinement confirmé les thèses générales.

Le reste du monde

Il n’est pas possible de mener une pareille enquête sur l’Italie et sur le Japon. Ni non plus sur la Russie pour laquelle, à Ravenne, nous n’avions pas encore de données suffisantes pour l’époque pré-soviétique, données que nous allons nous procurer pour notre futur compte rendu détaillé.

On sait que nous avons soutenu qu’il s’agit d’étudier deux croissances consécutives de capitalisme (les a-marxistes les appellent constructions)  : durant le tsarisme et durant l’époque " soviétique ".

Entre les deux se place la ruine de 1914-1920.

Nous avons en effet tant de fois montré que, selon les sources staliniennes elles-mêmes, la production industrielle russe en 1920 est tombée à un septième de celle de 1913. Le niveau d’avant-guerre ne fut rejoint qu’en 1926 (les indices pour 1913 = 100, sont 52, 7, 56) et donc durant ces treize années le taux aurait été nul, même si passer de 7 à 56 en six ans représente un rythme énorme, 41 pour cent annuel. Nous n’en avons qu’un seul exemple et il convient fort bien  : l’année 1946 germanique.

Notre, ne disons pas théorie, mais modeste explication, a montré comment on fait erreur – et comment on se moque du monde – quand on part des minimums. Donc, même lorsqu’il s’agit de capitalisme né une deuxième fois, il ne serait pas juste de partir de 1920 pour aller jusqu’à 1955, mais on devrait partir de 1913 ou de 1926. Les indices 52 et 56 doivent être rapportés à l’actuel 2049 qui est respectivement 37 ou 39 fois plus important.

Si nous prenons les 42 années de la longue période, ou même les 29 années de la période la plus brève, les accroissements moyens n’ont rien de miraculeux : 9,1 pour cent et 13,3 pour cent, toujours en se basant sur les données officielles soviétiques récentes.

Le moins vieux des capitalismes considérés, le capitalisme étatsunien, a débuté sa course plus d’un siècle auparavant, et avec des ressources de la science et de la technique (bases internationales de la production moderne) bien faibles, avec des rythmes qui n’étaient pas différents : 8,2 pour cent sur 32 années et jusqu’à 11 pour cent sur la période plus brève de 22 années à partir de 1827. En Russie il n’y a absolument rien eu de nouveau ou d’original quant à la rapidité de l’industrialisation qui a reproduit les voies de l’industrialisation bourgeoise de tous les pays, et la thèse centrale des soviétiques actuels, leur preuve royale de " la construction du socialisme ", a donc été réduite à néant.

La loi de la baisse de l’accroissement est déjà confirmée par les événements des dernières années russes puisque, comme nous l’avons montré avec les " diagrammes de Cosenza ", c’est seulement la plongée abyssale due à la seconde guerre mondiale qui a expliqué les rythmes de la reprise tout au long de la dernière décennie, rythmes qui d’autre part ont été égalés et battus par les pays d’Occident.

La grande loi de la baisse de l’accroissement ne se vérifie pas seulement en économie mais régit (ainsi l’orateur, en s’excusant de faire une extrapolation de saveur philosophique, mais fort apte à éclaircir l’exposition, termine cette partie du rapport) également tous les phénomènes des organismes en développement, non seulement organiques mais même minéraux, comme dans l’agrégation des molécules pures pour former des cristaux, et également dans celle des particules infranucléaires pour former les chaînes d’isotopes, avec leurs stupéfiantes vitesses différentes qui vont de la fraction de seconde à des immobilités de milliards d’années.

L’homme, comme tout autre animal et végétal, croît plus dans les dix premières années que durant les dix suivantes et de même pour la première année ou le premier mois. Les tableaux du poids moyen du corps en raison du temps de vie ont le même cours que ceux de nos diagrammes élémentaires du gonflement de la grosse bête capitaliste. Il était nécessaire et juste qu’elle naisse et qu’elle grandisse.

De l’étude de la courbe inexorable de son développement nous en déduisons notre certitude ancienne, inchangée et immuable : il mourra.

III. Phénoménologie de la société économique de notre temps dans l’ignoble modèle d’Amérique

Prémisse générale

Le matériel recueilli et mis à la disposition de la réunion était vraiment complet et bien plus riche que celui disponible à la réunion précédente de Cosenza où son examen avait été laborieux et subjectif et qui ne pouvait pas encore fournir une systématisation complète. Notre conclusion générale, que nous avons déjà donnée en de nombreuses précédentes manifestations de la pensée de notre parti, en ressortit cependant avec évidence : il y a pleine correspondance entre les phénomènes volcaniques de la production outre-Atlantique et ce que le marxisme a théorisé et prévu quant à ce qu’il en est des développements du capitalisme industriel moderne ; et il n’y a que fausseté totale dans les théories économiques de " diversion " que les économistes étatsuniens sont en train de s’efforcer d’ériger, pour se soustraire justement aux conclusions de Marx qui planent sur eux dans leur application et explication la plus suggestive comme des condamnations auxquelles ils ne pourront pas échapper.

Pour rompre le cercle de l’instabilité et de l’immanquable ruine de la production capitaliste, personne n’a pu systématiser de façon valide les doctrines qui se fondent de façon optimiste sur la propriété et sur le bien-être et qui espèrent vainement en un développement progressif qui échappe aux obstacles et aux régressions incessantes et récurrentes de l’économie globale ; les données elles-mêmes, que les défenseurs du capitalisme recueillent et étudient angoissés avec de puissants moyens, comme nous l’avons montré les années passées lors de nos réunions à Forli et à Asti, nous servent à corroborer nos vues et nos prévisions révolutionnaires.

De nombreuses données furent exposées aux participants de la réunion sous forme de graphiques, certains de ceux-ci se référant au cours des prix de gros pour les quatre pays de base, comme nous l’avons traité dans le précédent exposé. Pour l’Angleterre de 1800 à 1953, on a un unique indice des prix de gros, sans distinction entre industrie et agriculture. Cet indice peut être utilisé pour suivre la variation inverse du pouvoir d’achat de la livre sterling, et ses crises historiques. Un tel pouvoir a augmenté de 1800 à 1870, excepté quelques variations dans les deux sens, et si l’on pose 100 comme étant l’indice des prix de la décennie 1867-1877 on obtient un maximum de 150 en 1810. Donc on en conclut que les prix anglais ont baissé des deux tiers et que la valeur d’échange de la livre sterling a crû d’une fois et demi. La descente des prix continuant, l’on observe en 1900 l’indice 30, ce qui veut dire que le pouvoir d’achat de la livre sterling a été multiplié par un et deux tiers par rapport à 1870 et par deux et demi par rapport 1810. Nous sommes au sommet de la puissance anglaise. Avec la première guerre mondiale la livre sterling entre en crise, et l’indice des prix a son maximum en 1922 avec à peu près 230 ; depuis 1900 le pouvoir d’achat est descendu à un peu plus de son quart ! La reprise qui suit nous donne comme année la meilleure 1934, année où l’indice global des prix revient à 70, presque l’optimum de 1900 qui avait été 60. La seconde guerre déchaîne une autre crise bien plus grave : c’est la seconde époque de déclin de la puissance impériale. En 1954 l’indice des prix atteint le maximum de 370 qui, par rapport à 1935, signifie six fois plus. La valeur d’achat de la monnaie est descendue d’un sixième. Depuis lors elle est un peu remontée.

Pour les U.S.A. la source est  : " Statistical Abstract " du Dep. of Commerce US – 1953.

Dans ce graphique il n’est pas possible de lire les données des États-Unis pour les années 1800-1953, mais seulement à partir de 1890. Nous voyons ici deux lignes : les prix de gros des produits industriels et ceux des produits agraires. Avant tout nous sommes intéressés par la comparaison entre les deux lignes qui met en relief en 1890 une forte disproportion en faveur des bas prix agraires et c’est seulement en 1929 qu’ils rejoignent les prix industriels ; ils redescendirent ensuite pour se mettre à nouveau au même niveau à partir de 1950. Les maximums des courbes après les deux guerres correspondent : pour les prix industriels autour de 180 en 1920 et en 1950 contre le minimum de 60-70 dans les années 1898 et 1934. La perte la plus grande du dollar se situe dans une chute à un peu plus du tiers de son pouvoir d’achat. Pour les denrées agricoles l’indice le plus élevé est 45, on l’observe en 1898 et 1934 comme ci-dessus, mais la plus importante montée a eu lieu dans la première guerre mondiale jusqu’à 125, dans la seconde à 165, avec un pouvoir d’achat réduit au tiers dans la première et au quart dans la seconde, avec une tendance à une légère amélioration par la suite.

Les graphiques présentent pour la France et l’Allemagne des oscillations violentes et distinctes parmi les deux types de prix en gros.

L’inflation française a un premier maximum en 1921 puis en 1925, avec un maximum de HUIT fois par rapport à 1900 (en Italie ce fut 6 fois) puis un second après l’autre guerre, de plus de 25 fois par rapport à 1938 (En Italie autour de 50) .

Quant à l’Allemagne, après la fabuleuse inflation de la première guerre mondiale, on a eu le changement de monnaie et donc un nouvel écroulement à la suite de la seconde guerre.

De tels graphiques servent à présent à établir combien il faut être prudent en utilisant des indices exprimés dans la monnaie de l’année en cours au lieu de les ramener aux prix d’une année de base déterminée, et ceci même quand les chiffres se trouvent exprimés en sterlings et en dollars.

Éloquentes données américaines

On a dressé à la réunion un autre graphique provisoire qui résumait les données principales de l’économie américaine dans une période qui s’étendait de 1929 à 1952.

Dans une telle période sont incluses les données de la crise de production qui va de la florissante année 1929 à 1933, celles de la reprise jusqu’à 1940, puis celles de la reprise ultérieure due à la guerre de 1940 à 1945, et enfin la période actuelle de " prospérité " tant vantée.

On disposait de données dans de nombreux domaines :

Population totale qui en 23 années est passée de 122 à 156 millions, croissant donc de 28 pour cent, avec une très forte augmentation, que nous avons eu à illustrer quand nous avons parlé de la Russie, de presque 12 mille annuel sur la longue période.

Population travailleuse active passant de 47,6 millions à 61,3 ; croissance donc également de 28 pour cent.

Volume total des salaires et des revenus passé de 50 à 178 milliards de dollars, avec une augmentation de 215 pour cent ; une des principales vantardises ! Mais les deux chiffres ne sont pas mesurés avec les mêmes dollars et c’est ici qu’est utile (au moins quant à la population la plus pauvre) l’indice des prix agraires qui est passé de 100 à 157. Donc l’augmentation effective du volume des salaires se réduit donc du rapport de 100 à 315 à celui plus modeste de 100 à 200, pour une population qui a crû de 100 à 128. La véritable augmentation du bien-être réel des travailleurs se réduit au rapport de 100 à 150. Mais il sera plus intéressant de voir ce qui arrive à un tel bien-être quand arrive une crise.

En continuant dans l’examen de ces grandeurs , nous avons le " produit national brut " sur lequel nous nous arrêtâmes plusieurs fois pendant la réunion. Il a varié durant la période 1929-1952 de 103 à 346 milliards de dollars, c’est-à-dire dans un rapport de 100 à 333. En valeur réelle il n’aurait cependant crû que de 100 à 218 et l’augmentation annuelle moyenne serait de 3,2 pour cent, tout à fait modeste. Nous observons que l’on donne pour chiffre de 1956 : 422 milliards de dollars avec une augmentation en quatre ans de 22 pour cent, c’est-à-dire du 5 pour cent annuel moyen, en négligeant la variation de la valeur du dollar.

Le produit national brut ou gross national product correspond à ce que les Américains eux-mêmes appellent valeur ajoutée en une année dans la production. Si l’on connaît la valeur totale de la production du pays exprimée en prix de marché, on obtient le produit national brut en en déduisant la valeur de toutes les matières premières introduites dans la production elle-même. De nombreux économistes bourgeois appellent une telle donnée " valeur ajoutée par le travail ", montrant ainsi comment, en tentant de se libérer des lois marxistes, ils ont été forcés par les faits d’adopter la terminologie de Marx.

La valeur des matières premières travaillées est pour nous le " capital constant ". En même temps, on ajoute le capital variable, c’est-à-dire la dépense en salaires, et la somme de ces deux anticipations est ôtée du produit pour obtenir une différence que nous appelons masse nationale du profit, ou de la plus-value, qui est la même chose, considérée comme " masse ".

Les économistes bourgeois ne répartissent pas la valeur du produit national (qui pour nous est le capital total qui entre en jeu dans le domaine national durant l’année) en capital constant, capital variable et plus-value, mais ils empruntent à Marx la soustraction du capital constant et appellent tout le reste : valeur ajoutée par le travail, ou produit national brut. Quand il s’agit de le répartir dans l’entreprise ou la société nationale (fiction à laquelle ils tendent à parvenir) entre salaire laissé au travail et profit donné au capital, ils se refusent évidemment à aller plus loin et ils prétendent répartir le produit, purifié comme nous allons le voir de quelques scories, non pas entre deux classes sociales, mais de façon égalitaire entre tous les citoyens, ou parmi tous les " actifs " ou producteurs, qui sont en fait tous ceux qui touchent un salaire ou un traitement, élevé ou bas.

Économistes italiens et américains

Il faut brièvement dire comment procèdent, de la même façon mais avec des termes différents, les économistes italiens, et tout particulièrement ceux qui travaillent au " Plan Vanoni " à fabriquer les routes merveilleuses de notre bien-être sur le modèle de l’Amérique.

Les Américains admettent qu’avant tout on doit déduire du produit national brut les " amortissements ", c’est-à-dire les dépenses qu’il faut faire pour parer à l’usure des moyens de production, machines ou autre, qui s’est occasionnée durant l’année considérée. Ils passent ainsi au net national product, et jusqu’ici ils sont en règle avec Marx. En effet le capital constant n’est pas seulement constitué par les matières premières, mais aussi par la valeur, non des machines, mais de leur entretien pour qu’elles gardent leur efficacité pendant tout le cycle de la production. Donc la véritable " valeur ajoutée par le travail ", correspondant au capital variable plus la plus-value (mélangée aveuglément en Amérique et en Italie) est le produit net et non le produit brut.

Donc les Américains, pour arriver au revenu national de tous les citoyens qu’ils appellent " personal income ", font une autre déduction : celle des impôts payés à l’État.

Le personal income est ce qui se divise ensuite par le nombre de tous les citoyens pour obtenir le revenu per capite auquel on chante tous les hymnes.

Nous interromperons la comparaison avec la recherche américaine pour donner les chiffres de 1929 à 1952 du diagramme américain étudié.

Produit brut par actif : de 2180 à 5650 ; augmentation de 100 à 260 et en valeur réelle de 100 à 166 en 23 années.

Produit net par actif de 1955 à 5191, augmentation de 100 à 260 et de 100 à 166 comme ci-dessus.

Revenu national de 87 milliards à 290, et par habitant de 717 à 1864 dollars, rapport nominal habituel de 100 à 260.

Nous notons que le revenu national (personnel) donné pour 1956 a été de 325 milliards de dollars, seulement 12 pour cent de plus en quatre ans, mise à part l’augmentation de la population et des prix, et la marche vers la prospérité devient toujours moins joyeuse : alors que nous éditions ce compte rendu les alertes à l’inflation se font de plus en plus pressantes dans la presse américaine.

Une fois établis ainsi les concepts des économistes du revenu national et le lien entre ceux-ci et nos concepts de l’économie marxiste, il suffira de faire une allusion sur les méthodes de relevé pour établir le contraste formel et l’identité réelle de vue – d’intérêts de classe – entre les économistes d’Amérique et ceux d’Italie.

C’est dans le relevé qu’est toute la différence. Les économistes américains relèvent directement le revenu personnel, c’est-à-dire toutes les rétributions perçues par les citoyens à quelque titre que ce soit : salaires, traitements d’employés privés ou publics, dividendes d’actions de société, et ainsi de suite, puisqu’il s’agit d’une économie totalement échangiste, dans laquelle chacun ne consomme que des marchandises qu’il a acquises sur le marché, et vend de même tous ses produits, même s’il s’agit de la petite minorité des fermiers agricoles. Étant ainsi obtenu le revenu national comme somme des rémunérations personnelles, on passe au produit annuel net en ajoutant les impôts payés à l’État, et puis au produit brut en ajoutant la dépense effectuée pour l’amortissement dans les différentes branches de la production.

En Italie on procède de façon opposée. Une trop grande partie de la production échapperait au revenu si l’on partait seulement des rémunérations en argent et il faut donc utiliser la voie inverse, c’est-à-dire calculer la valeur de toute la production recensée de toutes les entreprises grandes et petites. On appelle ceci : valeur des produits disponibles pour la vente. On doit donc recenser l’emploi des matières premières entrées au début du cycle, toujours au prix de marché ; et ceci sera le produit national brut (mal nommé par certains : revenu n°1) . Une fois calculées les dépenses pour le renouvellement des moyens de production (amortissement) on arrivera au produit net, duquel on devra donc encore déduire les impôts, pour arriver au revenu national ainsi défini, et qui est appelé " revenu national au coût des facteurs " puisque les facteurs du calcul effectué sont la valeur des produits, de l’usure des machines, des impôts indirects, etc.

Le critère italien se veut réaliste et objectif, le critère américain se veut personnaliste et subjectif ; le premier part du calcul des prix des marchandises, le second du calcul des traitements des personnes. Mais la construction économique est la même, à part la disparition, dans l’un et l’autre cas, des mouvements des biens et de l’argent qui restent implicites.

Dans l’un et dans l’autre cas, les effets des rapports avec les pays étrangers sont déduits ; les revenus tirés de la production à l’étranger par des citoyens italiens, et inversement. Dans ce premier examen nous laisserons de côté de tels facteurs.

" Destination " du revenu

Même dans le cas général, une fois arrivé au revenu disponible pour les personnes privées et l’administration publique, il s’agit d’en voir la destination et c’est là que se situe la grossièreté du trucage. La destination, on le sait, est en forme double : consommation directe et investissement du capital (appelé en langage de curés : épargne) . Aujourd’hui, il est indiscutable que, une fois formé d’une façon ou d’une autre, le revenu total à disposition du " peuple " - et ceci va bien pour l’idéologie de " démocratie populaire " qui confond tous les salaires-traitements et les profits encaissés à l’intérieur des frontières de la patrie – va dans sa totalité finir dans deux grands canaux de distribution : celui des dépenses pour les biens de consommation et de jouissance immédiate, et celui du placement pour de nouvelles initiatives de production, l’investissement des capitaux qui est proportionnel à la satisfaction de l’exigence de nouveaux revenus futurs non fondés sur le travail.

Mais les deux sources de ce qui est mal nommé revenu ne peuvent ici plus être cachées parce que la double destination n’est possible que pour une seule des deux. Au-delà de toute confusion falsificatrice entre les hautes rémunérations salariales du travail et les participations au profit du capital, on doit établir ce qui suit.

Pour la partie de l’entrée globale nationale qui vient du travail salarié, une seule destination est possible : tout pour consommation, rien pour l’épargne.

Pour la partie de l’entrée globale qui vient des profits il est possible de choisir entre les deux destinations : consommation directe, épargne et investissement en nouveau capital.

Le choix en effet n’est économiquement plausible que si l’on peut disposer librement d’une certaine quote-part de son propre revenu.

Tout le sens, par exemple, du plan Vanoni est de rendre disponible une certaine partie du revenu national pour de nouveaux investissements productifs. Ce nouveau capital investi doit suffir, dans le calcul du plan, à déterminer une occupation de nouvelles forces de travail, pour absorber en dix ans le chômage actuel.

La transformation escomptée d’une partie du capital salarial en capital à réinvestir, en la détournant donc de la consommation, est une voie plus longue que celle que la classe salariée pourrait emprunter en acceptant la diminution de son salaire en fonction du rapport entre le nombre des chômeurs et celui des travailleurs actifs, et en conservant, sans même toucher au pouvoir et à l’économie capitalistes, le droit minimum de manger directement tout ce qui lui reste sans être empestée par les prédications des économistes catholiques, luthériens ou quakers.

EN REVENANT À L’AMÉRIQUE

Une analyse comme celle que nous ne fîmes qu’esquisser à Cosenza ou à Ravenne suffira à démontrer comment rien ne change dans le rapport d’extorsion de la plus-value à partir de la force de travail, arithmétiquement parlant, si l’on suppose réalisé un de ces plans de prospérité fondés sur un rythme d’augmentations constantes pendant de longues périodes d’années, jusqu’ici historiquement ignoré par la société moderne.

Mais ce qu’il nous intéresse plutôt de montrer c’est ce qu’il advient de tous ces paradis artificiels, de toutes ces recettes de progrès manipulées avec un égal mensonge à l’Est comme à l’Ouest, quand se met à souffler le vent des perturbations dans leurs équilibres artificiels ; et pour cette raison nous préférons revenir, en cet endroit de notre compte rendu sommaire et même si cela nuit à l’exposé systématique que nous renvoyons à une étude plus détaillée, sur la perspective américaine, et sur ses graphiques que nous nous réservons d’étudier de façon bien plus ample.

La première partie de la période étudiée couvre les quatre années de violente crise de l’entre-deux guerres, comme nous l’avons appelée (sa petite sœur viendra-t-elle faire sauter les différents plans bienfaiteurs avant que n’arrive l’année 1960 pas très lointaine ?) , de 1929 à 1933. Les données de cette descente dangereuse, de grande saveur dialectique, sont les suivantes :

La population totale s’élève (la crise des cellules germinales, elle, ne vient jamais !) de 121,8 à 125,6 millions, de 3 pour cent.

La population active (employment) baisse effroyablement de 47,6 à 38,8 millions, d’un peu plus de 18 pour cent.

Le produit brut tombe de 103,8 à 55,8 milliards ; de 100 à 52. De même le produit net. Le revenu national passe de 87,4 à 39,6 ; de 100 à 45.

Les salaires et traitements payés s’écroulent mais moins que le produit et le revenu global : de 50 milliards à 28,7 ; de 100 à 57.

Ceci ne suffit pas. Puisque les prix de gros des denrées alimentaires ont eux aussi baissé, causant la ruine des producteurs agraires, passant de 100 à 49, effectivement la valeur réelle des salaires encaissés augmente en raison inverse.

Le salaire pour le travailleur actif moyen est descendu à 1050 en 1929 et à 740 en 1933. Mais si l’on tient compte du pouvoir d’achat, sa perte de 100 à 70,5 se transforme en une augmentation de 100 à 144 !

Mais une telle amélioration, nous répondra-t-on, ne compense pas les souffrances des prolétaires restés sans travail. Nous ne sommes pas en train de faire l’apologie du capitalisme en crise, mais nous montrons les absurdités du système capitaliste et de son cours réel, non pas utopique mais historique. Cependant, prenons l’ensemble des gains des ouvriers salariés, descendu de 50 à 28,7, comme nous l’avons dit, et corrigeons-le selon la hausse du pouvoir d’achat en biens de première nécessité ; il monte de 50 à 58,6 ! La classe ouvrière, dans la crise, gagne plus !

La doctrine du " revenu national " ne sert ici qu’à piper les dés. En effet, le revenu pro capite en dollars est descendu de 717 à 315 en valeur nominale. Et même en passant aux valeurs réelles, il passe de 717 à 640, et donc il montre bien la crise et la perte générale, la catastrophe nationale, il montre la victoire du faux théorème : quand pleure le capital, le peuple et la nation pleurent !

Marx a dit tout le contraire : à son époque les bourgeois aimaient à parler de richesse nationale et non pas de revenu national comme aujourd’hui. La richesse de la nation croît quand la misère de sa classe ouvrière croît. Et dans le cas que nous examinons en ce moment, le revenu et la richesse de la nation ont baissé et c’est une fiction d’affirmer que la misère des salariés a crû : au contraire elle a légèrement baissé.

La part de la classe ouvrière dans la répartition de la valeur ajoutée, au contraire – selon le grand Marx-, s’améliore avec la baisse des indices nationaux. Sur 48,5 de valeur ajoutée à la production en 1933, les ouvriers salariés en ont eu 28,7 c’est-à-dire 59 pour cent, alors qu’en 1929 ils en avaient eu 50 sur 95 c’est-à-dire seulement 52,5 pour cent. Et avec un bénéfice déjà donné, en valeur réelle, de 100 à 117.

Qui a perdu la différence ? Ce n’est pas non plus la grande classe des entrepreneurs industriels puisqu’en 1940, au seuil de la guerre qui allait la rendre riche, elle avait retrouvé la part de 1929, celle d’avant la crise, pour la doubler en 1945, aux dépens des souscripteurs imbéciles.

La différence fut perdue par toutes les classes moyennes et petites-bourgeoises qui tombèrent de leur aisance dans le prolétariat, elle fut perdue par les petites entreprises dans la vague des faillites qui fit passer leurs capitaux dans les grandes entreprises.

Donc la hausse du revenu moyen pro capite n’indique pas un bien-être du prolétariat, mais celui des classes petites bourgeoises et moyennes, derrière lesquelles le monstre du capital moderne aime à se cacher.

Et ses complices, les " socialistes " et " communistes " modernes qui ont plein la bouche de voies nationales et de théorie du revenu national, pratiquent la politique de l’investissement productif ! À la lumière du déterminisme de Marx on comprend parfaitement que l’opportunisme parle, de la même façon que les classes petites bourgeoises, de liberté nationale en politique, comme de revenu et d’épargne nationale en économie. De théorie de la paix internationale, et de théorie économique du bien-être national. Traîtres sur tous les fronts, blasphémateurs de tous les versets de la doctrine.

Le cours du monstre américain

Un autre tableau, qui sera mieux élaboré par la suite, fut rapidement, avec de nombreux autres développements et commentaires que nous ne pouvons pas reproduire ici, expliqué aux participants.

L’auteur de ce tableau, même s’il n’avait aucune intention marxiste, a voulu ou a dû réduire toutes ses données, qui couvrent les années de 1848 à 1933, à un groupe limité d’entreprises productives. La valeur ajoutée en 1933 nous est en effet donnée comme s’élevant à 14,5 milliards de dollars alors qu’elle s’élevait auparavant à 48 milliards. Les ouvriers sont seulement 6.056.000, sur les 28 millions d’" actifs ".

En acceptant un tel tableau, fait avec des critères uniformes, nous voyons que le cours de 1849 à 1933 fait monter la valeur totale de la production de 1000 à 31.400, la valeur ajoutée de 464 à 14.538, les salaires globaux (sans les traitements des cols blancs ?) de 237 à 5.261, le nombre des ouvriers de 957.000 à 6.056.000.

Vient ensuite le calcul de quelques rapports importants. Le rapport des salaires à la valeur ajoutée dans la production qui était en 1849 de 51 cent est arrivé à 36,20 pour cent tout au long d’une descente régulière. Ce rapport pour un marxiste est celui du capital variable au total du capital variable et de la plus-value. Donc nous aurions 36,20 de capital variable contre 63,80 de plus-value et un taux de plus-value de 179 pour cent. Nous pouvons en déduire pour l’instant que, d’après ce tableau, le taux de plus-value aurait grimpé, en un siècle, de 98 pour cent à, à peu près, 179 pour cent. Pendant la même durée la productivité du travail, obtenue par l’auteur comme le rapport entre la valeur ajoutée dans la production et le nombre d’ouvriers qui l’ont produite, croît de 484 à 2.401 dollars, et donc devient cinq fois plus grand, mis à part les variations du cours du dollar.

La rémunération moyenne, obtenue en divisant la dépense salariale totale par le nombre des travailleurs, monte de 248 dollars à 860, c’est-à-dire devient seulement trois fois et demi plus importante. Selon l’autre tableau de Kuschinsky, de 1897 à 1933 la productivité moyenne du travail en Amérique augmente de 75 (1913 = 100) à 163, c’est-à-dire 2,2 fois. Le premier tableau dont nous avons parlé concorde bien : 1899 à 1933, 1063 à 2491 ; 2,26 fois.

L’importance de cette statistique, tirée d’une étude sur la valeur ajoutée dans la production, réside dans dans le fait d’avoir établi un net écart entre l’évolution de la productivité et celle de la rémunération des travailleurs, laquelle a augmenté dans une mesure moindre que celle représentée par l’avantage apporté par la production à la classe capitaliste.

Le compilateur du tableau semble être un défenseur du syndicat plus qu’un défenseur social de la cause ouvrière. En effet, il met en évidence la disparité entre l’amélioration de trois fois et demi du salaire, et celle de cinq fois de la valeur ajoutée par le travail salarié. Mais là où il nous semble trop modeste c’est quand il établit le rapport entre entre valeur ajoutée et valeur totale qu’il établit comme quasi constant et égal à 45-48 pour cent. En déterminant la composition organique au sens de Marx, c’est-à-dire le rapport entre capital constant et capital variable, il obtiendrait seulement 2,44 en 1849 et 3,25 en 1933, valeur qui nous apparaissent exagérément basses et lentement ascendantes et qui laissent donc subsister de nombreux doutes, même si la hausse en un siècle du taux de plus-value de 96 à 179 pour cent est significative, hausse qui a nécessairement intégré au cours de cette durée une augmentation bien plus importante du capital constant que l’auteur a cru calculer et qui résulte de la différence entre la première colonne de l’auteur – valeur brute de la production – et la seconde – valeur ajoutée dans la production totale.

Consommation, épargne et crédit

Il ne reste plus qu’à faire une allusion générale à de nombreux autres points de l’exposition verbale qui trouveront leur place par la suite et dans le compte rendu complet. On traita de nombreux sujets caractéristiques de l’économie étatsunienne actuelle et de celle des autres pays développés. Parmi ceux-ci l’automation, la crise des fermiers et l’acquisition de surplus agricoles de la part de l’État, la crise actuelle de la production automobile même après le très gros effort de la fin de 1956 qui n’a pas permis de maintenir le niveau de la fin de 1955, les perspectives de l’utilisation de l’énergie nucléaire, et même la portée économique de l’utilisation des " cerveaux électroniques " ; tous ces points furent critiqués dans leur prétention à offrir une diversion dans un but de conservation du système capitaliste. Les allusions à de tels sujets, aujourd’hui envahis par les exagérations de la science-fiction, s’étendent jusqu’à la prétendue réalisation de voyages interplanétaires.

On donna, sous forme de brève synthèse, les chiffres américains pour l’année 1956 de la consommation, des prêts privés et publics, des constructions immobilières, et surtout de la marée toujours montante des ventes à crédit, dont nous avons déjà traité en plusieurs occasions, en revenant sur le point exposé dans le premier chapitre sur la tendance actuelle à un " kolkhozianisme industriel ".

De façon particulière, nous voulons montrer comment le déferlement de la consommation de marchandises non payées vient invalider plus totalement encore les fausses constructions de l’économie du bien-être national qui prétendent pomper à la classe salariée une épargne supplémentaire pour l’ajouter au capital productif et augmenter ainsi les chiffres annuels suivants de la valeur des produits manufacturés. Pour réaliser les différents plans d’investissement, seuls capables d’assurer la continuité illusoire de la croissance uniforme des indices miraculeux, il faut donc que le travailleur consomme moins que ce qu’il gagne, c’est-à-dire qu’il borne ses besoins au-dessous du montant de sa rémunération ; ainsi le profit de cette fraction de capital arraché à la consommation lui apporterait un tout petit profit futur. En d’autres termes, dans cette perspective, le travailleur, en tant que consommateur, doit être en mesure d’anticiper, de prêter de l’argent à la classe capitaliste, et disons, si l’on veut à la nation. Mais celle-ci, et sa machine productive, ne peuvent aller de l’avant et se bloquent si l’on ne peut vendre toutes les marchandises produites ; le travailleur doit donc les acheter sans argent, c’est-à-dire consommer plus et non moins que l’argent qu’il compte gagner, il doit se rendre débiteur et non plus créditeur de la classe patronale – et encore, si l’on veut, de la nation. Que donc il se demande : abstinence ou prodigalité ?

Pour le salut des instituts bourgeois le travailleur devrait, dans leurs limites, résoudre l’absurde paradoxe de devoir leur prêter de la valeur tout en, dans le même temps, s’en faisant prêter, ainsi que celui tout aussi absurde de ne pas dépenser tout ce qu’il a et, dans le même temps, dépenser ce qu’il n’a pas encore, en hypothéquant son travail et sa vie futurs.

Tout le baratin destiné à forcer le travalleur à ressentir comme réels ces besoins illusoires qui le poussent à souscrire à l’engagement à l’achat de montagnes des marchandises devra, dans un avenir proche, céder à l’éloquence des faits, et l’artificialité du mécanisme économique devra déboucher dans une violente et irréparable dissolution qui, selon toute probabilité, aura pour point de départ ce pays où l’on veut, aux fins de la contre-révolution mondiale, concentrer les bénéfices.

Marx et l’Amérique

Si, en Amérique du Nord, il y avait un parti marxiste, au lieu de prendre pour bon marxisme l’acquiescement passif à ce qui est suggéré et prescrit par Moscou, il suffirait à ce parti de lire une série de passages de Marx dont certains ont été cités également à la réunion de Cosenza.

Nous finirons ce travail, qui a plus le caractère d’une chronique de la réunion tenue naguère à Ravenne que d’une organique présentation du thème qui y fut traité, avec une autre citation de Marx qui suffit à prouver comment les phénomènes de l’économie actuelle des États-Unis sont pour nous nettement prévus.

" Toute crise apporte une diminution passagère de la consommation de luxe … alors que d’autre part elle ralentit et diminue la vente des biens de consommation nécessaires … C’est le contraire qui se vérifie dans les périodes de prospérité et surtout au moment d’une apogée trompeuse (le boom d’aujourd’hui !) lors de laquelle d’autres raisons font baisser la valeur relative de l’argent exprimé en marchandises, sans qu’une réelle révolution des valeurs ne se produise, et font donc monter le prix des marchandises indépendamment de leur valeur propre (nous avons vu comment les prix, après avoir baissé durant la crise de 1929-1933, sont remontés après 1933 ; et c’est justement en 1937, qui est le début de la crise Staline, qu’ils se remirent à baisser) . Non seulement la consommation des subsistances augmente, mais la classe ouvrière dont l’armée de réserve est devenue active (plan Vanoni pour l’Italie !) participe momentanément à la consommation d’articles de luxe qui lui étaient auparavant inaccessibles (électroménagers, téléviseurs ! …) et se met à participer elle aussi à la consommation de certains articles qui jusque là ne constituaient, pour la plus grande partie, que des biens de consommation que pour les seuls capitalistes. Et ceci est cause d’une nouvelle hausse des prix.

C’est une pure tautologie que d’affirmer que les crises se produisent par manque de consommateurs capables de payer tous les biens de consommation. Le système capitaliste, exception faite pour les pauvres et les escrocs, ne connaît que des consommateurs payants. Si des marchandises restent invendues c’est parce qu’elles n’ont pas trouvé d’acheteurs capables de payer, elles n’ont pas trouvé de consommateurs. D’un autre côté, peu importe que, en dernière analyse, les marchandises aient été acquises pour la consommation personnelle ou pour la consommation productive (investissement !) . Si l’on veut également donner à cette tautologie une apparence de justification plus sérieuse, on dit que la classe ouvrière reçoit une part trop peu importante de son propre produit (de la valeur ajoutée ; position ouvriériste, réformiste) et que, pour remédier à un tel inconvénient, il ne reste plus qu’à augmenter ses salaires pour l’assurer d’une part plus importante ; nous ferons remarquer que toutes les crises sont précisément préparées par une période durant laquelle la hausse des salaires est générale, et durant laquelle, par conséquent, en réalité, la classe ouvrière reçoit une plus large partie du produit annuel disponible pour la consommation. Au contraire de ce que nos adversaires, champions de la bonne et saine raison, affirment, ces périodes prospères devraient au contraire précéder les crises.

Il semble donc que la production capitaliste renferme en elle-même certaines conditions ne dépendant pas du bon vouloir des capitalistes telles que cette prospérité de la classe ouvrière n’est tolérée que passagèrement et comme prélude à une crise " (Le Capital, Livre II, Section Trois, Chapitre XX, Reproduction simple, Paragraphe IV, Moyens de subsistance nécessaires et biens de consommations de luxe) (1) .

Voici ce que pensait Marx des Plans améliorateurs du bien-être général.

Bienvenue donc à la prosperity et au boom ! Ce sont de vieilles connaissances et elles sauront travailler pour nous.

Note :

(1) Dans la traduction des Éditions Sociales le passage se trouve page 63 du tome II du Livre deuxième du Capital (V) , Troisième Section, chapitre XX, paragraphe IV, Les échanges à l’intérieur de la section II : Subsistances nécessaires et objets de luxe.

Traduction, numérisation et notes par François Bochet, publiées dans la révue (Dis) continuté en 2004.

Source Il programma comunista n. 3-4 / 1957
Author Amadeo Bordiga
n+1 Archives Original, etc. Ref. DB 00000
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